Après
un second album en demi-teinte, une tournée d’automne annulée qui
faisait étrangement écho à une précédente incursion Européenne prévue
fin 2007 et annulée elle aussi, on attendait beaucoup de Monsieur Jamie
T. et de ses Pacemakers.
Premier
constat : le concert de novembre dernier, programmé dans l’intime
Rotonde, s’est vu transféré à L’Orangerie qui peut accueillir 3 fois
plus de spectateurs. La carrière de Jamie prendrait-elle un tour
nouveau dans notre vieille Europe ? Car il faut bien le dire, si le
jeune homme déclenche les passions outre-Manche, remplissant en
quelques minutes des salles aussi prestigieuses que la Brixton Academy
de Londres, son aura dans nos contrées est bien plus limitée. Mais il
est vrai que l’artiste électron-libre dessine un univers musical
tellement divers et varié qu’il en devient presque insaisissable ; par
ailleurs, ses textes, pétris d’humour 100% British, déclamés sur un ton
de MC cockney à la fois drolatique et d’une efficacité totale, doivent
sembler bien hermétiques aux non-adeptes de la langue de Shakespeare. En
attendant, ce sont les deux Lillois de Curry and Coco qui se sont vus
confier, à la dernière minute, la délicate tâche de chauffer le public
très bigarré composant le parterre de L’Orangerie. Une tâche dont ils
s’acquittent fort honorablement, même si leur électro-pop binaire,
mâtinée de claviers tout droit issus des années 80 et accompagnée de
vocaux Cindy Lauperiens, semble diversement appréciée, notamment
au-delà des 4 ou 5 premiers rangs. On se souviendra néanmoins d’une
prestation propre et efficace, idéalement configurée pour une première
partie. Remarquons encore qu’un soupçon de modestie siérait peut-être
davantage aux deux complices, qui n’étaient pas loin d’agacer
franchement la frange la plus attentive des spectateurs… L’installation
de la scène de Jamie T. préfigure assez de l’ambiance très «fête entre
potes» qui va accompagner la prestation du Londonien. Le stage
manager, la cinquantaine joviale, passe beaucoup de temps à décapsuler
un nombre incalculable de canettes de bière, qu’il dispose ensuite un
peu partout, en n’oubliant pas d’ajouter bouteilles de gin, de whisky,
de tequila… Entre deux réglages d’instruments, il plaisante avec les
fans des premiers rangs, s’amuse franchement avec l’ingénieur du son…
Bref, une décontraction plutôt inhabituelle à quelques minutes d’un
concert qui n’est pas loin d’afficher sold out. A
21h15, extinction des lumières et apparition des 5 musiciens, sans
chichi aucun ; on est très loin des entrées en scène de groupes à
minettes, façon prise d’assaut sous les éclairs des stroboscopes. De
fait, l’entame du set via Man’s Machine
pourrait presque paraître légèrement poussive, quoique le public, lui,
n’hésite pas à donner de la voix, reprenant instantanément en ch½ur le
refrain. Mais en fait, il s’agit simplement d’une prise en main
graduelle des opérations, et c’est aussi une manière de signifier que
Jamie et ses Pacemakers sont là pour jouer leur musique, pas pour se
mettre en scène. Prise en main graduelle des opérations ? Justement, voici Operation
! L’auditoire réagit au quart de tour et se met à onduler
frénétiquement. Débarrassé de sa guitare, Jamie vient spontanément
chercher le contact avec ses fans en front-stage. Visiblement nerveux
au moment d’ouvrir le feu (on sait le jeune homme particulièrement
anxieux, et, il n’y a pas si longtemps encore, de véritables crises
d’angoisse le paralysaient au point de l’empêcher de monter sur scène),
le Londonien se met à l’aise peu à peu, communiquant beaucoup avec le
public, s’essayant même à quelques mots en Français. Il dira tout
d’abord qu’il n’apprécie guère le genre de salle dans laquelle il se
produit ce soir, parce qu’il n’y a pas de bar à l’intérieur ! Un peu
plus tard, il se souviendra du concert qu’il a donné 4 ans plus tôt,
dans ce même complexe du Botanique, mais au Witloof Bar du sous-sol ;
un lieu qui, avec ses 150 places et son bar intégré, lui avait
autrement plu, semble-t-il ! La
température est montée considérablement depuis le début du concert ;
les musiciens sont tous parfaitement détendus maintenant ; et voilà que
Jamie s’approche du bord de la scène et demande au public de créer un
cercle, dans lequel il s’empresse de descendre. Quelques mains serrées,
quelques accolades, quelques invectives aussi : sur celle-là, vous avez
intérêt à vous bouger le ***, sinon c’est moi qui vais vous le botter !
Et c’est parti pour une version sur-vitaminée de Sheila.
A ce stade, L’Orangerie n’est plus qu’un gigantesque pogo, un bloc
compact animé par un même ressort. De la vague qui ondule au gré des
soubresauts de la musique, émergent des bras, des têtes, des pieds
parfois ; une basket perdue vole au-dessus de cette marée humaine
montante ; et Jamie continue de scander son premier tube en sautant
comme un cabri avec ses fans. Un grand moment ! De retour sur scène, Jamie s’empare de sa fameuse 4 cordes électro-acoustique, pour une version solo de Back in the Game.
Pendant ce temps, le guitariste, assis en tailleur en front-stage, fait
causette avec les fans du premier rang et, de l’autre côté, le bassiste
sert des gin-tonic très tassés à ceux qui ont envie de trinquer avec
lui. Tout à la bonne franquette en somme. Les titres de Panic Prevention
fonctionnent toujours à la perfection et confirment tout le bien qu’on
en pensait au moment de leur parution. Bonne nouvelle, les compositions
de Kings & Queens qui,
sur CD, semblaient un peu engoncées, pour ne pas dire contenues, dans
un trop de production, passent bien mieux en live. Véritable juge de
paix au verdict impitoyable, la scène permet bien souvent de révéler
l’essence originelle diluée par le passage en studio ; c’est le cas en
l’occurrence. Proposant
un mix judicieusement équilibré de ses deux efforts discographiques,
qu’il agrémente d’une pincée d’inédits et de titres rares, Jamie T.
tire le cocktail parfait ; en toute simplicité, avec beaucoup
d’humilité aussi et surtout sans aucune velléité de démonstration, ce
qui constitue généralement la marque des grands, des vrais artistes ! En
bonne compagnie, le temps passe toujours trop vite, c’est bien connu !
Le concert de ce soir ne déroge pas à la règle et, après une heure de
bonheur à l’état pur, et après un If you got the Money
cataclysmique, partiellement chanté par un spectateur qui s’est invité
sur scène, les 5 gaillards rejoignent les coulisses, d’un pas plus ou
moins assuré – le bassiste, qui a quelque peu abusé du gin-tonic, ne
dit pas non lorsque le stage-manager se propose de le guider ! c’est
vrai qu’ils sont sombres ces couloirs, et avec ces escaliers partout… Impossible
de quitter un public comme ça, sauf à assumer la probable destruction
intégrale de toute une salle de concert ! Jamie revient donc accompagné
de ses 4 acolytes, non pas pour nous servir l’ultime titre que plus ou
moins tout le monde attend et, cette fois, bye bye les copains, vous
êtes gentils, mais j’ai mon bus qui tourne… Non ! Jamie oublie
complètement la setlist officielle et se lance dans un véritable second
mini-set en roue libre (déjà que le premier n’était guère
conventionnel) durant lequel il nous délivrera, entre autres perles, un
Salvador sur-puissant qui voit le bassiste s’effondrer sur le kit batterie, ainsi que Bad Policeman, une cover de Rancid rarement interprétée. Après
tout ça, le final ne peut évidemment pas être en demi-teinte. Ce soir
il sera simplement dantesque, au point d’attirer en bord de scène
quelques membres du staff du Botanique ; soucieux, lesdits membres du
staff ! soucieux et très désemparés surtout face à l’ampleur déluge. En
effet, dès les premières notes de Sticks’n’Stones,
les fans des premiers rangs se sont spontanément hissés sur la scène
pour entourer Jamie et ses Pacemakers, et faire une dernière fois la
fête avec eux. Sauf que la scène en question n’est peut-être pas prévue
pour accueillir une centaine de personnes qui dansent et sautent
partout, au milieu des canettes vides et des verres renversés ! Mais la
scène tient, heureusement, et elle tiendra encore de longues minutes
après le départ des 5 musiciens, puisque des membres du public se sont
emparés des instruments toujours branchés et s’efforcent de prolonger
le plaisir à la mesure de leurs compétences musicales. C’est finalement
le stage-manager, hilare, qui viendra déloger tout ce petit monde, bien
après le rallumage des lumières de la salle… En
résumé, un concert de Jamie T., ça ressemble assez à une soirée entre
gens qui ne se connaissent pas très bien au début et qui, se
découvrant, se trouvent des tas d’atomes crochus et finissent par
improviser une véritable foire tous ensemble ! Avec une telle
conception de la scène, on comprendra aisément que la qualité des
prestations de Jamie T. doit dépendre très largement des conditions et
du public du moment. Visiblement, à L’Orangerie de Bruxelles, tout
était réuni pour que la soirée soit extraordinaire de spontanéité et de
générosité partagée ; et c’est ce qu’elle a été durant près de 90
minutes !
Inoubliable ! Olivier Bodart
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