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JAMIE T.
16/02/2010
Le Botanique - Bruxelles (B)

Après un second album en demi-teinte, une tournée d’automne annulée qui faisait étrangement écho à une précédente incursion Européenne prévue fin 2007 et annulée elle aussi, on attendait beaucoup de Monsieur Jamie T. et de ses Pacemakers.

Premier constat : le concert de novembre dernier, programmé dans l’intime Rotonde, s’est vu transféré à L’Orangerie qui peut accueillir 3 fois plus de spectateurs. La carrière de Jamie prendrait-elle un tour nouveau dans notre vieille Europe ? Car il faut bien le dire, si le jeune homme déclenche les passions outre-Manche, remplissant en quelques minutes des salles aussi prestigieuses que la Brixton Academy de Londres, son aura dans nos contrées est bien plus limitée. Mais il est vrai que l’artiste électron-libre dessine un univers musical tellement divers et varié qu’il en devient presque insaisissable ; par ailleurs, ses textes, pétris d’humour 100% British, déclamés sur un ton de MC cockney à la fois drolatique et d’une efficacité totale, doivent sembler bien hermétiques aux non-adeptes de la langue de Shakespeare.

En attendant, ce sont les deux Lillois de Curry and Coco qui se sont vus confier, à la dernière minute, la délicate tâche de chauffer le public très bigarré composant le parterre de L’Orangerie. Une tâche dont ils s’acquittent fort honorablement, même si leur électro-pop binaire, mâtinée de claviers tout droit issus des années 80 et accompagnée de vocaux Cindy Lauperiens, semble diversement appréciée, notamment au-delà des 4 ou 5 premiers rangs. On se souviendra néanmoins d’une prestation propre et efficace, idéalement configurée pour une première partie. Remarquons encore qu’un soupçon de modestie siérait peut-être davantage aux deux complices, qui n’étaient pas loin d’agacer franchement la frange la plus attentive des spectateurs…

L’installation de la scène de Jamie T. préfigure assez de l’ambiance très «fête entre potes» qui va accompagner la prestation du Londonien. Le stage manager, la cinquantaine joviale, passe beaucoup de temps à décapsuler un nombre incalculable de canettes de bière, qu’il dispose ensuite un peu partout, en n’oubliant pas d’ajouter bouteilles de gin, de whisky, de tequila… Entre deux réglages d’instruments, il plaisante avec les fans des premiers rangs, s’amuse franchement avec l’ingénieur du son… Bref, une décontraction plutôt inhabituelle à quelques minutes d’un concert qui n’est pas loin d’afficher sold out.

A 21h15, extinction des lumières et apparition des 5 musiciens, sans chichi aucun ; on est très loin des entrées en scène de groupes à minettes, façon prise d’assaut sous les éclairs des stroboscopes. De fait, l’entame du set via Man’s Machine pourrait presque paraître légèrement poussive, quoique le public, lui, n’hésite pas à donner de la voix, reprenant instantanément en ch½ur le refrain. Mais en fait, il s’agit simplement d’une prise en main graduelle des opérations, et c’est aussi une manière de signifier que Jamie et ses Pacemakers sont là pour jouer leur musique, pas pour se mettre en scène.

Prise en main graduelle des opérations ? Justement, voici Operation ! L’auditoire réagit au quart de tour et se met à onduler frénétiquement. Débarrassé de sa guitare, Jamie vient spontanément chercher le contact avec ses fans en front-stage. Visiblement nerveux au moment d’ouvrir le feu (on sait le jeune homme particulièrement anxieux, et, il n’y a pas si longtemps encore, de véritables crises d’angoisse le paralysaient au point de l’empêcher de monter sur scène), le Londonien se met à l’aise peu à peu, communiquant beaucoup avec le public, s’essayant même à quelques mots en Français. Il dira tout d’abord qu’il n’apprécie guère le genre de salle dans laquelle il se produit ce soir, parce qu’il n’y a pas de bar à l’intérieur ! Un peu plus tard, il se souviendra du concert qu’il a donné 4 ans plus tôt, dans ce même complexe du Botanique, mais au Witloof Bar du sous-sol ; un lieu qui, avec ses 150 places et son bar intégré, lui avait autrement plu, semble-t-il !

La température est montée considérablement depuis le début du concert ; les musiciens sont tous parfaitement détendus maintenant ; et voilà que Jamie s’approche du bord de la scène et demande au public de créer un cercle, dans lequel il s’empresse de descendre. Quelques mains serrées, quelques accolades, quelques invectives aussi : sur celle-là, vous avez intérêt à vous bouger le ***, sinon c’est moi qui vais vous le botter ! Et c’est parti pour une version sur-vitaminée de Sheila. A ce stade, L’Orangerie n’est plus qu’un gigantesque pogo, un bloc compact animé par un même ressort. De la vague qui ondule au gré des soubresauts de la musique, émergent des bras, des têtes, des pieds parfois ; une basket perdue vole au-dessus de cette marée humaine montante ; et Jamie continue de scander son premier tube en sautant comme un cabri avec ses fans. Un grand moment !

De retour sur scène, Jamie s’empare de sa fameuse 4 cordes électro-acoustique, pour une version solo de Back in the Game. Pendant ce temps, le guitariste, assis en tailleur en front-stage, fait causette avec les fans du premier rang et, de l’autre côté, le bassiste sert des gin-tonic très tassés à ceux qui ont envie de trinquer avec lui. Tout à la bonne franquette en somme.

Les titres de Panic Prevention fonctionnent toujours à la perfection et confirment tout le bien qu’on en pensait au moment de leur parution. Bonne nouvelle, les compositions de Kings & Queens qui, sur CD, semblaient un peu engoncées, pour ne pas dire contenues, dans un trop de production, passent bien mieux en live. Véritable juge de paix au verdict impitoyable, la scène permet bien souvent de révéler l’essence originelle diluée par le passage en studio ; c’est le cas en l’occurrence.

Proposant un mix judicieusement équilibré de ses deux efforts discographiques, qu’il agrémente d’une pincée d’inédits et de titres rares, Jamie T. tire le cocktail parfait ; en toute simplicité, avec beaucoup d’humilité aussi et surtout sans aucune velléité de démonstration, ce qui constitue généralement la marque des grands, des vrais artistes !

En bonne compagnie, le temps passe toujours trop vite, c’est bien connu ! Le concert de ce soir ne déroge pas à la règle et, après une heure de bonheur à l’état pur, et après un If you got the Money cataclysmique, partiellement chanté par un spectateur qui s’est invité sur scène, les 5 gaillards rejoignent les coulisses, d’un pas plus ou moins assuré – le bassiste, qui a quelque peu abusé du gin-tonic, ne dit pas non lorsque le stage-manager se propose de le guider ! c’est vrai qu’ils sont sombres ces couloirs, et avec ces escaliers partout…

Impossible de quitter un public comme ça, sauf à assumer la probable destruction intégrale de toute une salle de concert ! Jamie revient donc accompagné de ses 4 acolytes, non pas pour nous servir l’ultime titre que plus ou moins tout le monde attend et, cette fois, bye bye les copains, vous êtes gentils, mais j’ai mon bus qui tourne… Non ! Jamie oublie complètement la setlist officielle et se lance dans un véritable second mini-set en roue libre (déjà que le premier n’était guère conventionnel) durant lequel il nous délivrera, entre autres perles, un Salvador sur-puissant qui voit le bassiste s’effondrer sur le kit batterie, ainsi que Bad Policeman, une cover de Rancid rarement interprétée.

Après tout ça, le final ne peut évidemment pas être en demi-teinte. Ce soir il sera simplement dantesque, au point d’attirer en bord de scène quelques membres du staff du Botanique ; soucieux, lesdits membres du staff ! soucieux et très désemparés surtout face à l’ampleur déluge. En effet, dès les premières notes de Sticks’n’Stones, les fans des premiers rangs se sont spontanément hissés sur la scène pour entourer Jamie et ses Pacemakers, et faire une dernière fois la fête avec eux. Sauf que la scène en question n’est peut-être pas prévue pour accueillir une centaine de personnes qui dansent et sautent partout, au milieu des canettes vides et des verres renversés ! Mais la scène tient, heureusement, et elle tiendra encore de longues minutes après le départ des 5 musiciens, puisque des membres du public se sont emparés des instruments toujours branchés et s’efforcent de prolonger le plaisir à la mesure de leurs compétences musicales. C’est finalement le stage-manager, hilare, qui viendra déloger tout ce petit monde, bien après le rallumage des lumières de la salle…

En résumé, un concert de Jamie T., ça ressemble assez à une soirée entre gens qui ne se connaissent pas très bien au début et qui, se découvrant, se trouvent des tas d’atomes crochus et finissent par improviser une véritable foire tous ensemble ! Avec une telle conception de la scène, on comprendra aisément que la qualité des prestations de Jamie T. doit dépendre très largement des conditions et du public du moment. Visiblement, à L’Orangerie de Bruxelles, tout était réuni pour que la soirée soit extraordinaire de spontanéité et de générosité partagée ; et c’est ce qu’elle a été durant près de 90 minutes !

Inoubliable !

Olivier Bodart