Exceptionnel,
le rendez-vous que nous fixe Leila au Grand Mix de Tourcoing l’est à
plus d’un titre !
Tout d’abord, l’ex-claviériste de Björk ne donne pas exactement dans la
prolixité, le fabuleux Blood, Looms and Blooms publié par Warp en
juillet 2008 n’est que son troisième album en une dizaine d’années de
carrière, et encore a-t-il fallu patienter pendant huit ans avant de le
voir apparaître dans les bacs. En conséquence, Leila tourne peu, et
lorsqu’elle tourne c’est avec une grande parcimonie (seulement 13 dates
au programme de cette série de concerts répartis entre la France,
l’Allemagne, la Suisse, la Belgique et les Pays-Bas).
Ensuite, Roya Arab (s½ur de Leila et voix de Londinium, le premier
album d’Archive) et Luca Santucci (connu pour son travail avec Matthew
Herbert et, évidemment, ses vocaux sur le dernier album de Leila)
seront également de la partie.
Enfin, exceptionnelle, cette soirée l’est aussi parce que la jeune
femme est réputée pour ses expérimentations sonores, soundscapes et
autres bidouillages électro-ambient, et l’on sait que ce genre
d’exercice sied davantage au studio qu’à la scène. De là à penser que
nous sommes une poignée de privilégiés, plus invités que spectateurs,
il n’y a qu’un pas. Et ce pas, Leila nous enjoint à le franchir dès les
premières notes de Mettle, l’un des titres les plus forts de son
dernier album, qu’elle a très judicieusement choisi pour ouvrir son
concert.
Quelques mots
sur l’aménagement de la scène, tout d’abord. Au centre, tout au fond :
les équipements de la musicienne disposés en U, suivant un agencement
qui évoque plus le poste de commande d’une salle des machines qu’un
outil dédié à la création artistique. En surplomb de cette installation
: un écran vidéo, qui diffuse, tantôt des animations illustrant les
sons, tantôt la retransmission en direct des mains de Leila à l’½uvre
sur ses consoles. Et, enfin, à l’extrémité droite du front de scène :
un micro, dont s’empareront à tour de rôle Roya Arab, Luca Santucci
ainsi qu’une troisième chanteuse dont le nom m’est inconnu, sorte
d’apparition moulée dans une combinaison en latex doré et coiffé d’un
(très) haut-de-forme doré également, qui semble tout droit sortie du
Magicien d’Oz. La scène du Grand Mix aura rarement été aussi dépouillée
; et jamais, à ma connaissance, artiste n’aura été à ce point en
retrait, pour ne pas dire cachée, du public ; et pourtant, quelle
présence !
Rappelons, pour
ceux qui ne le sauraient pas, que Leila ne chante pas ; elle délègue
cette tâche à l’un ou l’autre de ses partenaires de scène, parfois ;
mais, le plus souvent, elle privilégie les longues phrases
instrumentales, les assemblages de sons, laissant ainsi à l’auditeur la
liberté de chercher les mots, les sentiments que lui évoque ce qu’il
entend.
Au fil d’une
prestation parfaitement maîtrisée qui la voit explorer ses trois
disques, la fée Iranienne exilée à Londres façonne devant nous les
contours d’un univers musical emprunt de métissage, de mixité et de
cette diversité propre aux individus de double-culture. Entre un Orient
fui lorsqu’elle avait 7 ans et cet Occident qui l’héberge depuis 30 ans
maintenant, Leila ne tranche pas, ne choisit pas : elle laisse les
mélopées chatoyantes insinuer la texture électronique de ses
compositions, à moins que ce ne soit l’inverse, et ce faisant, elle
construit un monde de notes, de sons et d’ambiances tout à fait unique
dans le panorama des musiques actuelles.
Tantôt enfant espiègle, qui
grimace, qui rit tout en s’amusant avec les potentiomètres de ses
consoles, tantôt grande ordonnatrice des sons, impériale face à ses
machines, Leila distille une performance à la fois subtile et
puissante, sans concessions ni effets de manche. D’une extraordinaire
densité, le concert prend des allures de voyage hors l’espace et hors
le temps, jusqu’à donner une matérialité éphémère au cinquième point
cardinal de la rose des vents, ce fameux axe que la culture Chamanique
considère comme le lien entre la terre et le ciel, le monde des vivants
et le monde des esprits.
Réputée pour ses prestations
d’une durée proportionnelle à ce qu’elle ressent elle-même des lieux
dans lesquels elle se produit et des publics pour lesquels elle joue,
gageons que Leila a dû être plus que comblée ce soir, car pour cette
date qui clôture également son périple Européen, c’est un set de plus
d’1h50 qu’elle donnera au final, dont près d’une demi-heure de rappels
tout de même.
En conclusion, pour paraphraser
Luca Santucci, visiblement heureux de cette prestation au point de
venir dans la salle pour profiter de la fin du concert dans les
conditions du live, disons simplement : « Merci Le Grand Mix », pour
cette soirée vraiment hors du commun. Et, évidemment, merci aux
artistes pour leur générosité et leur plaisir à partager avec nous, le
public, un peu de leur immense talent.
Si l’on ajoute à cela une
première partie d’une très grande qualité, assurée par les Belges de
Ansatz der Maschine ― laquelle première partie mériterait d’ailleurs un
compte-rendu séparé (mais cela sera vraisemblablement fait dans un
avenir proche, à l’issue d’un de leurs concerts en tant que headliner)
―, alors oui, définitivement, « exceptionnel » est bien le terme qui
caractérise le mieux ce à quoi nous avons pu assister en ce jeudi 26
février 2009.
Olivier Bodart
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