Première
incursion sur le vieux continent pour ce jeune quintet Californien qui
nous arrive précédé d’une réputation aussi sulfureuse qu’élogieuse. Ne
lit-on pas ici et là que leurs concerts outre-Atlantique mettent tout
sens dessus dessous : salles et publics, ce qui leur vaut d’être
régulièrement comparés, excusez du peu, aux Pixies, à Nirvana et même
aux Stooges ! A la page biographie, on notera que les Crystal Antlers
sont auteurs d’un premier EP 6 titres, qui voit le jour début 2008,
dont toutes les copies s’écoulent en quelques semaines seulement sur le
seul bouche à oreille, ce qui lui vaut donc d’être réédité à l’automne
2008, par Touch’N’Go Records, rien que ça ! Pitchfork Media a, comme
souvent lorsque les sauces montent vite, mis son grain de sel au
passage ; mais si le buzz semble prendre, rien à voir cependant avec la
hype bricolée à la va-vite par une armée d’attachés de presse plus
concernés par un retour sur investissement rapide que par la défense
d’une certaine conception de la création artistique. De toute façon, le
punk psychédélique volontiers expérimental que pratiquent les Crystal
Antlers les exclut d’emblée de la catégorie des prétendants au titre de
next big thing, et c’est tant mieux !
L’étape
Lilloise de ce soir se situe au beau milieu d’un périple de 5 semaines
qui voit le groupe sillonner la France, la Belgique, les Pays-Bas,
l’Allemagne et le Royaume-Uni. Une telle tournée pour une formation qui
dispose d’une discographie aussi restreinte n’est pas chose commune.
Faut-il y voir le signe d’une très grande confiance de la part de leur
maison de disques ? L’avenir nous le dira. Mais le management de
Touch’N’Go ne cache pas son enthousiasme à l’égard de ses nouveaux
poulains, allant jusqu’à annoncer avec deux mois d’avance la parution
de leur premier véritable album, Tentacles, comme s’il s’agissait là
d’un événement de taille, attendu par un très large public.
Les
5 musiciens investissent la scène de L’Aéronef version club sans effet
d’annonce, alors même que le DJ-set de première partie n’est pas
achevé. On s’attendait à une entrée débridée et haute en couleurs, mais
ce sont 5 garçons très concentrés, et même un peu tendu s’agissant du
batteur, qui font leur apparition. Quelques réglages plus tard, la
prestation s’enclenche sur un titre inédit, constitué d’une longue
introduction uniquement instrumentale, qui sera enchaîné avec Until the
Sun Dies (part 2), le morceau d’ouverture du EP.
Dès
les premières notes posées, on comprend pourquoi la musique des Crystal
Antlers convoque à ce point les légendes du rock. Le son développé par
l’organiste n’est pas sans rappeler un certain Ray Manzarek, et la
tentation est grande également d’établir un rapprochement entre les
vociférations de Johnny Bell et la transe vocale d’un Jim Morrisson
interprétant Break on Through. Le guitariste ne lésine pas sur la
pédale wah-wah et autres effets flanger qui semblent tout droit sortis
d’une formation space-rock des 70’s. La basse est ronflante à souhait
et n’est pas sans rappeler les excès Rickenbackeriens d’un certain
Lemmy Kilmister, époque Hawkwind. Quant au batteur, il martèle à
découvert pourrait-on dire, puisque son équipement se limite à une
caisse claire, un tom grave, une grosse caisse, une cymbale et un
charleston, ce qui ne l’empêche toutefois pas de soutenir, sur les
rythmes les plus effrénés parfois, les salves soniques et autres
attaques au larsen de ses petits camarades, et ce d’autant plus qu’il
se voit aidé dans sa tâche par un cinquième énergumène,
danseur-percussionniste, qui ne manque jamais d’apporter sa touche
iconoclaste à une prestation déjà sévèrement barrée. On l’aura compris,
la musique que ces 5 là proposent est d’un autre temps. Et pourtant,
point d’anachronisme ni de nostalgie vaguement revival dans ce que nous
entendons. En l’occurrence, c’est plutôt d’héritage qu’il faut parler ;
un héritage certes lourd et ô combien glorieux, mais un héritage porté
et assumé sans complexes par un groupe qui prouve que, en 2009, on peut
encore monter sur une scène sans ordinateur portable ni batterie de
samples stockés sur cartes mémoire !
Une
fois L’Aéronef pris d’assaut, les Crystal Antlers mettent le cap à
l’Ouest toute, pour une orgie de cris et de sons sur-saturés. Les
titres du EP ont évidemment les faveurs du public. Et, notamment, il
est intéressant de souligner que ce sont A Thousand Eyes et Parting
Song for the Torn Sky, les deux compositions les plus longues, qui
emportent l’adhésion du plus grand nombre. Ces deux titres se
distinguent de façon très nette, de part leur structure (breaks
nombreux, alternance entre sonorités abrasives et phrases musicales
plus introspectives teintées de psychédélisme, de krautrock et
d’ambient), de part leur écriture aussi (ce sont les deux seuls titres
sur lesquels on sent une vraie recherche mélodique) et de part leur
format enfin (ces deux morceaux atteignent les 7-8 minutes et montrent
un groupe très à l’aise avec les développements longs, assez proches du
genre épique auquel les formations orientées punk goûtent
traditionnellement assez peu !). Les titres inédits qui complètent la
setlist semblent d’ailleurs suivre cette direction pour la plupart
d’entre eux, ce qui laisse présager du meilleur pour la suite.
Sans
être extraordinaire, le mixage est très correct et retranscrit bien
l’agression sonore à laquelle se livrent consciencieusement les cinq
Californiens ; seules les parties vocales non-hurlées sont trop en
retrait. Les lumières se limitent à quelques spots qui semblent ne
disposer que des fonctions allumé-éteint ; mais cette économie de
moyens contribue à renforcer l’aspect très rêche de la performance
délivrée, et c’est donc un mal pour un bien, en définitive.
Assez
peu communicatifs avec le public, les Crystal Antlers ne sont pas pour
autant regardants sur l’énergie et la sueur qu’ils abandonnent à la
scène. Mais, force est de constater que nous n’avons pas à faire au
combo de fous furieux qui viennent de scier les barreaux de leur cage
que l’on nous avait annoncé. Si déluge il y a, c’est d’un déluge
concerté dont il s’agit, opéré par un collectif qui sait très
exactement où il va et qui sait aussi ce qu’il doit faire pour emmener
la cinquantaine de spectateurs avec lui.
Malheureusement, le
voyage sera de courte durée, puisque après quarante-cinq petites
minutes de décibels en altitude, les cinq Américains se livrent à ce
qui ressemble assez à un atterrissage forcé et quittent la scène
définitivement malgré les cris du public qui reste visiblement sur sa
faim.
Lumières rallumées, on se dit alors spontanément qu’on
vient d’assister à une première partie tout à fait éblouissante ! Sauf
que, voilà, il s’agissait du headliner en fait, et, du coup,
trois-quarts d’heure rappels compris, ça fait franchement court.
Certes, il vaut mieux 45 minutes intenses plutôt qu’une heure et demie
ennuyeuse. Mais, au vu des capacités à tenir une scène dont ces cinq
lascars semblent disposer, on ne peut s’empêcher d’éprouver une légère
frustration, d’autant plus que, du EP, 5 titres sur 6 ont été joués, et
de Tentacles, le premier album à paraître en avril, une toute petite
moitié seulement aura été dévoilée. A charge de revanche, donc !
Olivier Bodart
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