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Mon Inouïe Symphonie
18/09/2009 - 20/09/2009
4 Écluses - Dunkerque / Le Grand Mix - Tourcoing / LAAC - Dunkerque (F)

Dunkerque : 2 – Tourcoing : 1 !
Point de compétition ici, mais une jolie complémentarité plutôt, entre ces deux villes qui accueillent la 7ème édition du Festival Mon Inouïe Symphonie organisé par l’association Rock’n’Roll Charity Hospital. Au programme : une sélection judicieuse d’artistes habités et une palette de sons très pointus ; bref, de quoi faire passer un doux week-end aux oreilles les plus exigeantes.

Vendredi 18 Septembre 2009 : Les 4 Écluses - Dunkerque

Ce sont les Belges de K-Branding qui se voient chargés de lancer les festivités ; une tâche K Branding, Lydia Lunchdont ils s’acquittent avec la manière, au fil d’un set parfaitement construit, d’une durée avoisinant la cinquantaine de minutes. Le trio, composé d’un saxophoniste bidouilleur de sons, d’un guitariste et d’un batteur, explore un territoire très personnel, quelque part entre free-jazz, math rock et rock expérimental. Les compositions, d’une extraordinaire densité, évoquent l’univers de John Zorn, de Frank Zappa et de Zu, mais ce serait faire offense à la formation Bruxelloise que de la résumer à ces seules références, aussi illustres soient-elles. Fort d’un premier album très réussi, publié par le label indépendant Humpty Dumpty, K-Branding donne le ton de cette soirée d’ouverture tout en inscrivant son nom à la liste des groupes à retenir très haut dans un futur proche.

On ne saurait en dire autant de Jaap Blonk, conteur-performer Néerlandais, qui, durant plus d’une demi-heure, parsème de ruminations, cris et borborygmes ses saynètes d’une inintelligibilité qui confine à l’abscons. Plus comique que vraiment barrée, cette prestation restera comme un interlude à prendre au dix-millième degré. 

Changement radical de registre : voici maintenant Lydia Lunch, poétesse – grande prêtresse New-Yorkaise, accompagnée pour l’occasion du Marseillais Philippe Petit aux machines et turntables. Enveloppée d’une lumière mauve de circonstance, Lydia Lunch déclame ses textes avec une précision chirurgicale, voix d’outre-tombe et ambiance post-apocalypse servie par un Philippe Petit au bord de la transe. Les nappes souterraines, émaillées de drones et autres salves bruitistes qui semblent tout droit remontées des limbes de l’enfer, font vibrer les tympans des spectateurs plongés dans une ferveur extatique. La prestation prend vite des allures de grand messe, à ceci près que ce qu’il nous est donné à voir et à entendre ne ressemble en rien à un rituel répété à l’identique soir après soir. Au contraire même, l’improvisation est de toute évidence une composante majeure de la performance délivrée ; et si le son colle si parfaitement aux images projetées sur l’écran occupant le fond de la scène, cela n’est dû qu’au talent immense de ces 2 artistes et à leur capacité respective à transcender leur art en situation de live. Un moment rare !

La soirée s’achève avec l’électro joviale de Max Tundra, qui, malgré l’enthousiasme et l’énergie déployés, ne parvient toutefois pas à effacer la trace laissée par ses prédécesseurs. Il faut dire que les compositions présentées ont souvent un goût d’inachevé et semblent bien faiblardes comparativement au déluge sonore qui vient de balayer les 4 Ecluses. Rien ni personne n’aurait sans doute pu succéder dignement à Lydia Lunch & Philippe Petit ce soir.

Samedi 19 Septembre 2009 : Le Grand Mix - Tourcoing

Un petit tour par la très conviviale navette mise à disposition des spectateurs Lillois par les organisateurs, quelques heures de sommeil pour récupérer des incantations soniques de Lydia Lunch & Philippe Petit, et nous voici au Grand Mix de Tourcoing pour une seconde soirée à l’affiche bien alléchante.

Malheureusement, le programme éclectique à souhait et le prix d’entrée très démocratique The Oscillation, Snowman(10€) semblent être restés sans effet sur le public, car force est de constater que nous sommes bien moins nombreux que la veille aux 4 Écluses. Au plus fort de la soirée, seule une petite cinquantaine de spectateurs se partagera un espace susceptible de recevoir 10 fois plus de monde. C’est donc un parterre bien morne et fort peu enthousiaste qui accueille Geneva Jacuzzi, une artiste originaire de Los Angeles. La jeune femme, seule en scène, pose sa voix sur une électro-dance assez peu inspirée, générée par ordinateur. Entre new wave édulcorée (cf. sa reprise des Cure) et disco-funk à la Giorgio Moroder, ambiance jambières et juste-au-corps en satin, Flashdance revival, Geneva Jacuzzi ne ménage pas sa peine, sans toutefois parvenir à emporter l’adhésion. Chanteuse mais également plasticienne, l’artiste diffuse sur écran vidéo le travail qu’elle accomplit avec le corps de la femme, et plus particulièrement avec les fesses ― une projection qui, il faut bien le reconnaître, retient l’attention d’une part importante (essentiellement masculine) du public, et ce au détriment de la musique. Véritable projet artistique ou simple artifice destiné à combler un déficit d’inspiration ? c’est à chacun qu’il revient d’en décider. Anecdotique… 

Un estrade aménagé en vis-à-vis de la grande scène permet d’enchaîner les prestations sans temps mort. C’est Emmanuel Rabu, un écrivain Français, qui investit l’espace baigné d’une lueur ambre, accompagné d’un percussionniste. Tel un harangueur de foule, il déroule un long rouleau de papier et se lance aussitôt dans la longue déclamation, par ordre alphabétique inversé, de noms communs dont la particularité est de ne former aucun sens particulier ainsi mis en juxtaposition. La lecture prend très vite des airs de litanie mécanique proche de la régression verbale, dont le seul but semble être d’abrutir les quelques spectateurs qui n’ont pas encore fui. On le comprend bien : ici c’est le concept qui prime. Mais, avouons-le, si, au nom de la libre expression et de la diversité des pratiques culturelles, il faut se réjouir que de telles prestations puissent simplement exister, on n’en éprouve pas moins un grand soulagement quand cela se termine et lorsqu’on constate que sur la grande scène les guitares s’apprêtent enfin à faire leur apparition.

C’est donc aux Anglais de The Oscillation que revient le privilège de brancher les amplis pour la première fois de la soirée, et ce pour le plus grand plaisir du public. Le quartet propose un rock psychédélique à tendance krautrock, qui s’aventure parfois dans le champ de la new wave, qui pousse même jusqu’à la lisière du doom lorsque les phrases musicales gonflées de réverbération et d’effets flanger s’étirent nonchalamment durant de longues minutes. Evoquant The Black Angels, Ozric Tentacles ou encore Earth, The Oscillation n’est vraisemblablement pas en passe de révolutionner le monde de la musique, mais puisque ce n’est visiblement pas là son ambition, cela ne pose pas de problème. En tout cas, les 4 musiciens délivrent un set de très bonne facture, certes à forte teneur en atmosphères tout droit dérivées des 70’s, mais néanmoins animé d’une belle authenticité et d’une totale sincérité. Une jolie découverte.

C’est maintenant au tour de Maja Jantar, une artiste Belge, de s’accaparer l’estrade. Au programme : lecture du passé, du présent et de l’avenir par les cartes, ponctuée de respirations, souffles et cris, le tout accompagné d’une bande-son vraisemblablement emprunté à un sophrologue… Bref, le temps de boire une bière et de se préparer tranquillement pour la suite.

Dan Deacon ayant déclaré forfait, c’est le quatuor cosmopolite de Snowman qui prend la direction des opérations, avec une détermination affichée dès les premières notes de Our Mother. Sous une lumière aussi crue que le son qu’ils produisent, les 4 musiciens égrènent leurs compositions âpres et tendues, avec un sens du rythme évident et un grand charisme aussi, notamment de la part de Joe McKee, le guitariste-chanteur, qui, à plusieurs reprises, se laissera tomber de la scène et arpentera le premier rang, regard halluciné et démarche désarticulée.
Les titres interprétés son essentiellement issus de The Horse, The Rat And The Swan, le second CD de la formation, paru en mai 2008, dans une relative indifférence il faut bien le reconnaître, et ce malgré le coup de pouce remarqué de Pitchfork. L’apparition de Snowman en nos contrées est d’ailleurs très récente et tient plus à la réputation de leurs prestations scéniques qu’à celle de leurs productions discographiques. C’est ainsi que les programmateurs de La Route du Rock les ont propulsés sur la grande scène du Fort de Saint-Père, en remplacement de The Horrors annulés à 72 heures du concert ; une partie que le groupe avait parfaitement tenu, dans des conditions pas particulièrement aisées (> lire la review).
Musicalement parlant, Snowman évolue dans un univers que peu de groupes se risquent à explorer, mêlant avec bonheur et réussite la rugosité et la spontanéité brute du punk avec l’application voire la solennité du rock expérimental. De cette alliance hors norme surgit une musique à la fois instinctive et cérébrale, dont la complexité n’empêche jamais l’auditeur d’éprouver une furieuse envie de taper du pied, et plus si affinités. Dire que le son de Snowman évoque en vrac Frank Zappa, Mr. Bungle ou Einstürzende Neubaten relève autant du truisme que de la caricature, tant il est évident que ces références ont dû faire leur œuvre dans l’inconscient des 4 musiciens, mais une œuvre bénéfique qui leur aura au final permis de dépasser cette question des genres et des affiliations. On parlera plus ici d’héritage que d’influence au sens strict.
Le set se déroule tel une mécanique implacable. Ross Diblasio, le batteur, se tient penché sur ses fûts tel un boxeur attendant le gong de reprise en trépignant sur place. Plus discrète, Olga Hermanniusson, la bassiste, n’en découpe pas moins des lignes ronflantes à faire trembler les murs ; on aimerait toutefois qu’elle recourre davantage au saxophone, qu’elle n’utilise que sur un seul titre, et qui donne une teinte résolument originale à la formation. Les sections chantées par le claviériste Andy Citawarman, à la tessiture un rien opératique, constituent le contrepoint parfait à la furie vocale de Joe McKee, dont la scansion évoque assez un Peter Murphy en pleine crise d’épilepsie.
En une cinquantaine de minutes, nos 4 Snowman construisent une prestation qui frise la perfection, surpassant de très loin tout ce qu’il nous a été donné d’entendre ce soir. Lorsque le moment sera venu de dresser un bilan de cette année 2009, nul doute que Snowman figurera en tête de liste des découvertes les plus marquantes.

Dimanche 20 septembre 2009 : LAAC - Dunkerque

Retour en terres dunkerquoises et ambiance fin de week-end de circonstance au LAAC (Lieu d’Art et d’Action Culturelle), pour un atterrissage tout en douceur de cette 7ème Inouïe Symphonie.

Le programme, très allégé en sons (ce qui n’est pas plus mal après 2 soirées très intenses), Yuri Landman, AUdémarre dans le très confortable auditorium (ce qui est définitivement une excellente idée), par une conférence de Yuri Landman, un musicien et luthier expérimental originaire des Pays Bas. Durant une quarantaine de minutes, l’artiste-artisan évoque, powerpoint à l’appui, le travail qu’il a accompli au fil des ans en matière de recherche sur le son. Il en profite pour présenter quelques unes des guitares qu’il a réalisées pour des groupes comme Sonic Youth ou The Liars. Au nom du principe élémentaire qu’à la théorie il est toujours souhaitable de joindre la pratique, Yuri Landman nous convie ensuite dans le patio central pour une démonstration d’une dizaine de minutes, sur des instruments réalisés par lui-même et les élèves du workshop qu’il a animé à Dunkerque les jours précédents. 

Dans la foulée, les Américains de AU, ici en configuration duo batterie-percussions – claviers-voix, investissent l’espace pour présenter leur plus récente production discographique, le très réussi Verbs. Assez étonnamment, l’absence des 3 autres membres du groupe ne nuit pas à la qualité de la prestation délivrée, mais il faut préciser que Mark Kaylor et plus encore Luke Wyland ont la capacité à tenir plusieurs instruments en même temps. L’effet une peu « chorale en roue libre » des enregistrements studio, loin de disparaître à l’épreuve du live, semble même renforcé, grâce notamment au son très brut développé par les 2 hommes. En 45 minutes, AU construit un set très efficace et parvient à conquérir, à la seule force de son talent, un public assez bigarré, ce qui était loin d’être acquis par avance. Une bien belle conclusion !

Puisque nous nous trouvons dans cette région où la chaleur humaine compense la fraîcheur de l’air, c’est autour d’un verre de 3 Monts que les spectateurs de cette Symphonie vraiment Inouïe sont invités à se dire au-revoir.

Merci à Pénélope et Nicolas pour cette programmation riche et d’une grande cohérence, pour une organisation sans failles et, surtout, pour placer aussi haut dans l’échelle des valeurs le respect dû aux artistes et aux spectateurs. A l’année prochaine ! 


Olivier Bodart


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