Dunkerque : 2 – Tourcoing : 1 ! Point
de compétition ici, mais une jolie complémentarité plutôt, entre ces
deux villes qui accueillent la 7ème édition du Festival Mon Inouïe
Symphonie organisé par l’association Rock’n’Roll Charity Hospital. Au
programme : une sélection judicieuse d’artistes habités et une palette
de sons très pointus ; bref, de quoi faire passer un doux week-end aux
oreilles les plus exigeantes.
Vendredi 18 Septembre 2009 : Les 4 Écluses - Dunkerque Ce sont les Belges de K-Branding qui se voient chargés de lancer les festivités ; une tâche dont
ils s’acquittent avec la manière, au fil d’un set parfaitement
construit, d’une durée avoisinant la cinquantaine de minutes. Le trio,
composé d’un saxophoniste bidouilleur de sons, d’un guitariste et d’un
batteur, explore un territoire très personnel, quelque part entre
free-jazz, math rock et rock expérimental. Les compositions, d’une
extraordinaire densité, évoquent l’univers de John Zorn, de Frank Zappa
et de Zu, mais ce serait faire offense à la formation Bruxelloise que
de la résumer à ces seules références, aussi illustres soient-elles.
Fort d’un premier album très réussi, publié par le label indépendant
Humpty Dumpty, K-Branding donne le ton de cette soirée d’ouverture tout
en inscrivant son nom à la liste des groupes à retenir très haut dans
un futur proche. On
ne saurait en dire autant de Jaap Blonk, conteur-performer Néerlandais,
qui, durant plus d’une demi-heure, parsème de ruminations, cris et
borborygmes ses saynètes d’une inintelligibilité qui confine à
l’abscons. Plus comique que vraiment barrée, cette prestation restera
comme un interlude à prendre au dix-millième degré. Changement
radical de registre : voici maintenant Lydia Lunch, poétesse – grande
prêtresse New-Yorkaise, accompagnée pour l’occasion du Marseillais
Philippe Petit aux machines et turntables. Enveloppée d’une lumière
mauve de circonstance, Lydia Lunch déclame ses textes avec une
précision chirurgicale, voix d’outre-tombe et ambiance post-apocalypse
servie par un Philippe Petit au bord de la transe. Les nappes
souterraines, émaillées de drones et autres salves bruitistes qui
semblent tout droit remontées des limbes de l’enfer, font vibrer les
tympans des spectateurs plongés dans une ferveur extatique. La
prestation prend vite des allures de grand messe, à ceci près que ce
qu’il nous est donné à voir et à entendre ne ressemble en rien à un
rituel répété à l’identique soir après soir. Au contraire même,
l’improvisation est de toute évidence une composante majeure de la
performance délivrée ; et si le son colle si parfaitement aux images
projetées sur l’écran occupant le fond de la scène, cela n’est dû qu’au
talent immense de ces 2 artistes et à leur capacité respective à
transcender leur art en situation de live. Un moment rare !
La
soirée s’achève avec l’électro joviale de Max Tundra, qui, malgré
l’enthousiasme et l’énergie déployés, ne parvient toutefois pas à
effacer la trace laissée par ses prédécesseurs. Il faut dire que les
compositions présentées ont souvent un goût d’inachevé et semblent bien
faiblardes comparativement au déluge sonore qui vient de balayer les 4
Ecluses. Rien ni personne n’aurait sans doute pu succéder dignement à
Lydia Lunch & Philippe Petit ce soir.
Samedi 19 Septembre 2009 : Le Grand Mix - Tourcoing
Un
petit tour par la très conviviale navette mise à disposition des
spectateurs Lillois par les organisateurs, quelques heures de sommeil
pour récupérer des incantations soniques de Lydia Lunch & Philippe
Petit, et nous voici au Grand Mix de Tourcoing pour une seconde soirée
à l’affiche bien alléchante. Malheureusement,
le programme éclectique à souhait et le prix d’entrée très démocratique
(10€)
semblent être restés sans effet sur le public, car force est de
constater que nous sommes bien moins nombreux que la veille aux 4
Écluses. Au plus fort de la soirée, seule une petite cinquantaine de
spectateurs se partagera un espace susceptible de recevoir 10 fois plus
de monde. C’est donc un parterre bien morne et fort peu enthousiaste
qui accueille Geneva Jacuzzi, une artiste originaire de Los Angeles. La
jeune femme, seule en scène, pose sa voix sur une électro-dance assez
peu inspirée, générée par ordinateur. Entre new wave édulcorée (cf. sa
reprise des Cure) et disco-funk à la Giorgio Moroder, ambiance
jambières et juste-au-corps en satin, Flashdance revival, Geneva
Jacuzzi ne ménage pas sa peine, sans toutefois parvenir à emporter
l’adhésion. Chanteuse mais également plasticienne, l’artiste diffuse
sur écran vidéo le travail qu’elle accomplit avec le corps de la femme,
et plus particulièrement avec les fesses ― une projection qui, il faut
bien le reconnaître, retient l’attention d’une part importante
(essentiellement masculine) du public, et ce au détriment de la
musique. Véritable projet artistique ou simple artifice destiné à
combler un déficit d’inspiration ? c’est à chacun qu’il revient d’en
décider. Anecdotique… Un
estrade aménagé en vis-à-vis de la grande scène permet d’enchaîner les
prestations sans temps mort. C’est Emmanuel Rabu, un écrivain Français,
qui investit l’espace baigné d’une lueur ambre, accompagné d’un
percussionniste. Tel un harangueur de foule, il déroule un long rouleau
de papier et se lance aussitôt dans la longue déclamation, par ordre
alphabétique inversé, de noms communs dont la particularité est de ne
former aucun sens particulier ainsi mis en juxtaposition. La lecture
prend très vite des airs de litanie mécanique proche de la régression
verbale, dont le seul but semble être d’abrutir les quelques
spectateurs qui n’ont pas encore fui. On le comprend bien : ici c’est
le concept qui prime. Mais, avouons-le, si, au nom de la libre
expression et de la diversité des pratiques culturelles, il faut se
réjouir que de telles prestations puissent simplement exister, on n’en
éprouve pas moins un grand soulagement quand cela se termine et
lorsqu’on constate que sur la grande scène les guitares s’apprêtent
enfin à faire leur apparition. C’est
donc aux Anglais de The Oscillation que revient le privilège de
brancher les amplis pour la première fois de la soirée, et ce pour le
plus grand plaisir du public. Le quartet propose un rock psychédélique
à tendance krautrock, qui s’aventure parfois dans le champ de la new
wave, qui pousse même jusqu’à la lisière du doom lorsque les phrases
musicales gonflées de réverbération et d’effets flanger s’étirent
nonchalamment durant de longues minutes. Evoquant The Black Angels,
Ozric Tentacles ou encore Earth, The Oscillation n’est
vraisemblablement pas en passe de révolutionner le monde de la musique,
mais puisque ce n’est visiblement pas là son ambition, cela ne pose pas
de problème. En tout cas, les 4 musiciens délivrent un set de très
bonne facture, certes à forte teneur en atmosphères tout droit dérivées
des 70’s, mais néanmoins animé d’une belle authenticité et d’une totale
sincérité. Une jolie découverte. C’est
maintenant au tour de Maja Jantar, une artiste Belge, de s’accaparer
l’estrade. Au programme : lecture du passé, du présent et de l’avenir
par les cartes, ponctuée de respirations, souffles et cris, le tout
accompagné d’une bande-son vraisemblablement emprunté à un sophrologue…
Bref, le temps de boire une bière et de se préparer tranquillement pour
la suite. Dan
Deacon ayant déclaré forfait, c’est le quatuor cosmopolite de Snowman
qui prend la direction des opérations, avec une détermination affichée
dès les premières notes de Our Mother. Sous une lumière aussi crue que
le son qu’ils produisent, les 4 musiciens égrènent leurs compositions
âpres et tendues, avec un sens du rythme évident et un grand charisme
aussi, notamment de la part de Joe McKee, le guitariste-chanteur, qui,
à plusieurs reprises, se laissera tomber de la scène et arpentera le
premier rang, regard halluciné et démarche désarticulée. Les titres
interprétés son essentiellement issus de The Horse, The Rat And The
Swan, le second CD de la formation, paru en mai 2008, dans une relative
indifférence il faut bien le reconnaître, et ce malgré le coup de pouce
remarqué de Pitchfork. L’apparition de Snowman en nos contrées est
d’ailleurs très récente et tient plus à la réputation de leurs
prestations scéniques qu’à celle de leurs productions discographiques.
C’est ainsi que les programmateurs de La Route du Rock les ont
propulsés sur la grande scène du Fort de Saint-Père, en remplacement de
The Horrors annulés à 72 heures du concert ; une partie que le groupe
avait parfaitement tenu, dans des conditions pas particulièrement
aisées (> lire la review). Musicalement parlant, Snowman évolue dans
un univers que peu de groupes se risquent à explorer, mêlant avec
bonheur et réussite la rugosité et la spontanéité brute du punk avec
l’application voire la solennité du rock expérimental. De cette
alliance hors norme surgit une musique à la fois instinctive et
cérébrale, dont la complexité n’empêche jamais l’auditeur d’éprouver
une furieuse envie de taper du pied, et plus si affinités. Dire que le
son de Snowman évoque en vrac Frank Zappa, Mr. Bungle ou Einstürzende
Neubaten relève autant du truisme que de la caricature, tant il est
évident que ces références ont dû faire leur œuvre dans l’inconscient
des 4 musiciens, mais une œuvre bénéfique qui leur aura au final permis
de dépasser cette question des genres et des affiliations. On parlera
plus ici d’héritage que d’influence au sens strict. Le set se
déroule tel une mécanique implacable. Ross Diblasio, le batteur, se
tient penché sur ses fûts tel un boxeur attendant le gong de reprise en
trépignant sur place. Plus discrète, Olga Hermanniusson, la bassiste,
n’en découpe pas moins des lignes ronflantes à faire trembler les murs
; on aimerait toutefois qu’elle recourre davantage au saxophone,
qu’elle n’utilise que sur un seul titre, et qui donne une teinte
résolument originale à la formation. Les sections chantées par le
claviériste Andy Citawarman, à la tessiture un rien opératique,
constituent le contrepoint parfait à la furie vocale de Joe McKee, dont
la scansion évoque assez un Peter Murphy en pleine crise d’épilepsie. En
une cinquantaine de minutes, nos 4 Snowman construisent une prestation
qui frise la perfection, surpassant de très loin tout ce qu’il nous a
été donné d’entendre ce soir. Lorsque le moment sera venu de dresser un
bilan de cette année 2009, nul doute que Snowman figurera en tête de
liste des découvertes les plus marquantes.
Dimanche 20 septembre 2009 : LAAC - Dunkerque
Retour
en terres dunkerquoises et ambiance fin de week-end de circonstance au
LAAC (Lieu d’Art et d’Action Culturelle), pour un atterrissage tout en
douceur de cette 7ème Inouïe Symphonie. Le programme, très allégé en sons (ce qui n’est pas plus mal après 2 soirées très intenses), démarre
dans le très confortable auditorium (ce qui est définitivement une
excellente idée), par une conférence de Yuri Landman, un musicien et
luthier expérimental originaire des Pays Bas. Durant une quarantaine de
minutes, l’artiste-artisan évoque, powerpoint à l’appui, le travail
qu’il a accompli au fil des ans en matière de recherche sur le son. Il
en profite pour présenter quelques unes des guitares qu’il a réalisées
pour des groupes comme Sonic Youth ou The Liars. Au nom du principe
élémentaire qu’à la théorie il est toujours souhaitable de joindre la
pratique, Yuri Landman nous convie ensuite dans le patio central pour
une démonstration d’une dizaine de minutes, sur des instruments
réalisés par lui-même et les élèves du workshop qu’il a animé à
Dunkerque les jours précédents.
Dans
la foulée, les Américains de AU, ici en configuration duo
batterie-percussions – claviers-voix, investissent l’espace pour
présenter leur plus récente production discographique, le très réussi
Verbs. Assez étonnamment, l’absence des 3 autres membres du groupe ne
nuit pas à la qualité de la prestation délivrée, mais il faut préciser
que Mark Kaylor et plus encore Luke Wyland ont la capacité à tenir
plusieurs instruments en même temps. L’effet une peu « chorale en roue
libre » des enregistrements studio, loin de disparaître à l’épreuve du
live, semble même renforcé, grâce notamment au son très brut développé
par les 2 hommes. En 45 minutes, AU construit un set très efficace et
parvient à conquérir, à la seule force de son talent, un public assez
bigarré, ce qui était loin d’être acquis par avance. Une bien belle
conclusion !
Puisque
nous nous trouvons dans cette région où la chaleur humaine compense la
fraîcheur de l’air, c’est autour d’un verre de 3 Monts que les
spectateurs de cette Symphonie vraiment Inouïe sont invités à se dire
au-revoir.
Merci
à Pénélope et Nicolas pour cette programmation riche et d’une grande
cohérence, pour une organisation sans failles et, surtout, pour placer
aussi haut dans l’échelle des valeurs le respect dû aux artistes et aux
spectateurs. A l’année prochaine !
Olivier Bodart
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