Formation
composée d’un bassiste, d’un guitariste également aux commandes d’une
boîte à rythmes et d’une chanteuse tambour-major qui martèle la peau
d’un tom grave à l’aide d’un maracas, HTRK est originaire de Melbourne,
même si le groupe a récemment émigré à Londres. Quelques singles et
deux albums sont parus, Nostalgia en 2007 et le dernier très récemment,
dont le titre (Marry Me Tonight) et la pochette surtout (d’un rose
bonbon très flashy) ne traduisent absolument pas le contenu artistique. Dire
qu’HTRK propose une musique glaciale et glaçante est en effet un bel
euphémisme. Poussant leur quête du froid et du chirurgical jusqu’à
n’apparaître qu’en ombre chinoise, profils découpés par une lumière
exclusivement bleue, le trio ne communique pas autrement que par le son
qu’il produit, comme si le public n’existait pas, ou presque.
Les
titres se succèdent, impavides, monolithiques, dans un climat proche de
l’austérité ; voix lancinante et désabusée, guitare ultra-réverbérée,
basse ronflante et boîte à rythmes on ne peut plus minimaliste. Cette
grande économie de moyens n’empêche pas la formation de construire de
jolies structures electro-pop auxquelles se greffent des mélodies
vocales tout en subtilité. Malgré tout, on ne parvient pas à dire si le
public massé dans une Rotonde sold-out est vraiment attentif ou
simplement passif. La sortie de scène, à l’issue d’un set d’une
demi-heure à peine, n’arrange rien. La chanteuse s’avance de la boîte à
rythmes, jette un ½il à la setlist et revient à son micro pour
simplement dire que, non, c’est fini, bye bye Bruxelles, direction les
coulisses, abandonnant définitivement l’assistance à la perplexité.
En
d’autres temps, certains avaient inventé les musiques pour aéroport,
pour ascenseur… HTRK est tout proche d’accoucher d’une musique qui
pourrait fort bien accompagner les travaux d’une salle de dissection.
Pourquoi proche, seulement ? Parce qu’il leur faut encore se
débarrasser de quelques tics cold-wave hérités des Cure de l’époque
Faith. A suivre, donc !
L’installation
de la scène des Fuck Buttons tient exclusivement dans la mise en place
d’une table de DJ ; mais quelle table ! Format conférence au sommet,
entièrement tendue de tissu noir et intégralement couverte d’un bazar
indescriptible, blocs d’alimentation, câbles, jacks, racks de pédales,
interrupteurs, curseurs, potentiomètres… à quoi s’ajoutent, pour Andrew
Hung, un dispositif bien étrange inséré dans une valise antédiluvienne,
posée ouverte, qui ressemble plus à un colis piégé qu’à une machine à
sons, et, pour Benjamin J. Power, un tom grave ainsi que le fameux
instrument dont il se sert pour produire les vocaux stridents qui sont
la marque de fabrique de Street Horrsing, l’excellentissime premier
opus paru l’année dernière. L’instrument en question, disons-le
franchement, rappelle plus un jouet FisherPrice qu’un mégaphone ou une
radio professionnelle !
Pas
de one-two-one-two ni de eh-oh-eh en guise de soundcheck, mais toute
une collection de sons qui démontre à quel point la musique
électronique est construite et nuancée derrière son apparente
simplicité ; une simplicité qui est plus le fait des rythmes,
volontiers répétitifs et écrasants, que des structures mélodiques à
proprement parler. Accessoirement, cette série d’essais lance également
un avertissement aux tympans sensibles : ce soir, ça va jouer fort,
TRES fort !
Et,
effectivement, lorsque l’intro de Surf Solar s’élève crescendo dans
l’enceinte archi-bondée de La Rotonde, qui ressemble pour le coup à un
véritable puits de son, ça fait vibrer les membranes ! C’est un choix
très judicieux que d’entamer ainsi le set, car il s’agit d’un titre qui
prend le temps de construire par touches successives l’univers proposé
par le duo de Bristol. Une fois le ton donné, sur une moyenne de 110
dB, le set de Fuck Buttons prend la forme d’une mise en sons du chaos,
ou de la représentation que l’on s’en fait tout du moins. De temps à
autre, les compositions issues du second album, Tarot Sport, apportent
une touche un peu plus légère, une sorte de bribe d’espoir au milieu
des ténèbres pour ne pas dire du néant ; mais, comme chacun sait,
l’espoir ne dure jamais, et très vite, les rythmes tribaux et les
longues phrases hypnotiques criblées de drones psychés reprennent le
dessus, manière de dire que, sans aucun doute possible, l’apocalypse
est bel et bien là !
Mine
de rien, en filigrane de loops hachurées à la pédale de distorsion et
aux giclées de stroboscope, c’est le monde de la génération digitale
qui se dessine. Il y a 30 ans, de jeunes gens aux cheveux hérissés
scandaient No Future et envoyaient un coup de rangers furieux dans un
quotidien peu satisfaisant ; aujourd’hui, les Fuck Buttons reprennent
le témoin et ajoutent Even No Present avec le flegme d’une désillusion
archi-consommée.
En
un peu plus d’une heure rappel compris, avec le cataclysmique Sweet
Love For Planet Earth en guise d’au-revoir, les Fuck Buttons mettent
tout le monde à genoux ; ou KO debout plutôt, car personne ici n’a
suffisamment d’espace pour tomber.
Bienvenue dans le déluge !
Olivier Bodart
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