Ces
cinq dernières années auront été incontestablement marquées par un
retour en force de la folk, de ses lignes mélodiques pures, dépouillées
de tout artifice sonore, comme une réaction à la surenchère de
technologie qui semble frapper le monde des musiques actuelles, comme
une tentative de rééquilibrage entre organique et électronique. Depuis
CocoRosie, c’est un genre qui semble convenir à merveille à la gent
féminine, car en l’espace de quelques mois seulement nous avons pu
assister à l’éclosion couronnée de succès de Mariee Sioux, d’Alela
Diane et de celle qui nous intéresse en l’état : Emily Jane White.
Cette dernière propose probablement l’album le plus singulier, le plus
immédiatement identifiable, parmi ce trio de très belles premières
œuvres. Son Dark Undercoat est aussi plus sombre, plus intime, plus
dense que Faces in the Rocks et The Pirate’s Gospel, Emily Jane White
semblant disposer de cette petite touche personnelle qui fait que
chaque mot, chaque note sonnent juste et font mouche instantanément.
Tourcoing
est la troisième étape d’une tournée qui verra l’artiste originaire de
San Francisco visiter une quinzaine de villes Françaises ; puis ce sera
au tour de l’Allemagne pour une dizaine de dates. Ce soir, quelques 300
personnes ont fait le déplacement pour faire honneur à celle qui, mine
de rien, collectionne les critiques élogieuses, pour ne pas dire
dithyrambiques, dans une presse de moins en moins spécialisée, sans
pour autant céder (jusqu’à présent du moins) au jeu de la
sur-médiatisation.
L’entrée
en scène de la jeune femme est à l’image de ses compositions : sobre et
élégante, et c’est presque logiquement qu’elle entonne Bessie Smith, le
morceau qui ouvre également son album.
Première
surprise, la chanteuse est accompagnée, comme à l’accoutumée, d’une
violoncelliste, mais elle est aussi épaulée d’un batteur et d’un second
guitariste, elle-même passant alternativement de la guitare acoustique
au piano. Cette formation à quatre fonctionne parfaitement, apportant
beaucoup de relief à des morceaux tels Hole in the Middle ou encore Two
Shots to the Head.
La
deuxième surprise viendra de la setlist. Avec un seul CD d’une petite
quarantaine de minutes, la crainte d’assister à une prestation
particulièrement brève était grande. Mais il n’en sera rien, car si,
officiellement, Emily Jane White tourne toujours en support de son
premier opus paru il y a un peu moins d’un an, le concert de ce soir
sera majoritairement composé de titres inédits, dont on suppose que bon
nombre d’entre eux feront l’objet d’une production discographique
future. D’ailleurs, assez étonnamment, Dark Undercoat ne sera pas
interprété dans son intégralité. Au final, le quatuor délivrera une
prestation d’une durée avoisinant les 75 minutes, ce qui est plus
qu’honorable, pour ne pas dire inespéré compte tenu des circonstances.
Si
on ajoute à cela un public respectueux et attentif, une sonorisation
irréprochable et une mise en lumières toute en nuances, entre moirures
et halos pastels, on se dit que tout est réuni pour faire de cette
soirée un moment exceptionnel.
Oui
mais voilà, il y a un mais ! Car, au contraire d’un Bon Iver par
exemple, qui parvient à captiver son auditoire grâce à la capacité
qu’il a à mettre en scène sa musique jusqu’à la transcender, grâce
aussi à la puissance hors du commun qu’il développe sans jamais quitter
son tabouret, Emily Jane White, quant à elle, se cantonne à une
reproduction fidèle et appliquée de ce qu’elle fait en studio. Le
quatuor égrène donc les titres de Dark Undercoat avec une précision et
une justesse exemplaires, et glisse ici et là de très nombreux inédits,
qui laissent par ailleurs augurer du meilleur pour le second album à
paraître. Mais, au total, la magie n’opère pas vraiment, ou alors de
façon très sporadique. Loin d’insuffler une énergie nouvelle à ses
compositions ― dont la qualité intrinsèque n’est nullement remise en
cause ―, Emily Jane White pose, note après note, ce qui ressemble trop
aux ingrédients savamment dosés d’une recette trop souvent appliquée.
De fait, le set qu’elle délivre est par trop convenu pour ne pas dire
monolithique.
Les
quatre musiciens sont au diapason et paraissent très à l’aise sur la
scène du Grand Mix, là n’est pas le problème. Ils discutent et
plaisantent entre eux entre les morceaux, ils prennent le temps
d’accorder leurs instruments respectifs avec une apparente
décontraction, ils s’adressent à l’ingénieur du son pour obtenir plus
ou moins de retour, au technicien lumières pour modifier un éclairage…
mais ces (parfois longs) interludes ne parviennent pas à briser
l’impression de trop grande linéarité qui se dégage de l’ensemble, et
surtout ils finissent par donner au concert des airs de répétition
publique.
On
se surprend ainsi à consulter sa montre en plein set, alors que nous
sommes dimanche et qu’il est à peine 20h30. Et plusieurs spectateurs
n’hésitent pas à se diriger discrètement vers la sortie avant même les
rappels.
Une
soirée en demi-teinte, donc, dont on ressort en se disant : Vivement le
prochain album ! mais pas forcément : Vivement la prochaine tournée.
Olivier Bodart
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