19ème cru, déjà,
pour le mythique manifeste du rock indé organisé en cité corsaire à la
mi-août (estampillé de « Collection Eté » depuis que l’Association Rock
Tympans effectue une seconde livraison annuelle, en février, de sons
toujours très pointus). La Route du Rock est à l’image de la ville qui
l’héberge : fière, rebelle et farouchement indépendante ! C’est un
véritable bonheur pour tout amateur de musique que de se voir offrir
une programmation réellement originale et non pas la copie
quasi-conforme de l’affiche que Rock-Machin ou Bazar-Truc-Pop proposent
à quelques centaines de kilomètres de là ― vous savez, cette manie de
l’uniformisation qui est en train de transformer les festivals d’été en
spectacles itinérants. Ici, à Saint-Malo, on ne pratique pas la
surenchère absurde, du genre 14.000 groupes répartis sur 300 scènes,
avec un emploi du temps qui exige du festivalier qu’il se déplace avec
un ordinateur équipé d’un puissant logiciel de planification (ou alors,
c’est 30 secondes par groupe, au choix !). Tous les artistes qui se
produisent entre le Palais du Grand Large et le Fort de Saint-Père
peuvent être vus de chaque spectateur qui le souhaite, et le programme
offert, en plus de faire sens, est bel et bien unique.
Parlons-en,
justement, du programme ! La plupart des groupes présents ne livrera
que quelques performances cet été, et pour certains comme Tortoise, The
Kills ou encore Dominique A ce sera carrément la seule apparition en
plein air. Malheureusement, à l’issue de ces 3 jours de fête,
l’association organisatrice annoncera une nouvelle baisse de la
fréquentation (la troisième consécutive), d’environ 10% par rapport à
l’édition 2008, avec à peine plus de 15.000 entrées. Ce qui prouve une
fois de plus que l’audace et la créativité sont bien mal récompensées !
mais c’est là un autre débat.
14/08/2009
Le menu de la première nuit dans l’enceinte du Fort de Saint-Père relève assez du fantasme,voire
même de l’hallucination aigue pour tout fan de rock expérimental à
tendance noisy (ou de noisy-rock à tendance expérimentale, c’est comme
on veut), car ils ne sont pas nombreux les organisateurs qui peuvent se
targuer d’avoir réunis Deerhunter, A Place To Bury Strangers, Tortoise
et My Bloody Valentine sur une même scène. En
attendant, ce sont les New-Yorkais de Crystal Stilts qui tentent tant
bien que mal de présenter leur rock psychédélique à tendance gothique.
Sous le chaud soleil Malouin qui tape encore fort en ce début de
soirée, les sonorités glaciales d’un orgue antédiluvien et les vocaux
d’outre-tombe ont quelque chose d’un peu décalé, il faut bien le
reconnaître. Mais, au-delà des conditions peu favorables, il y a
surtout que la musique proposée, sorte de croisement entre du Black
Angels anémié et du Bauhaus pour maison de retraite, ne brille pas par
son originalité. Un début peu convaincant, donc !
Cela
devrait s’arranger avec la prestation de Deerhunter qui vient ensuite ;
la formation emmenée par Bradford Cox étant responsable d’un des albums
les plus excitants de l’année 2008, le progressif Microcastle.
Malheureusement, le groupe ne semble pas dans un grand jour. Les quatre
hommes ficèlent sans grand enthousiasme une performance d’une
quarantaine de minutes, servis il est vrai par un son extrêmement moyen
qui rend inaudible la quasi-totalité des parties chantées. A revoir
dans de meilleures conditions. Forts d’un Beacons of Ancestorship
de toute beauté, les Américains de Tortoise n’ont plus rien à
démontrer, si ce n’est qu’ils sont toujours les musiciens virtuoses et
inspirés que l’on sait. La preuve en sera apportée en 60 minutes (bien
trop courtes), par un groupe au top de sa forme. Les 5 hommes prennent
un plaisir indiscutable à jouer, passant d’un instrument à l’autre
comme des enfants essaient les différents jeux d’un parc d’attraction.
Ils délivrent une prestation débordant d’énergie et de générosité et
remportent le premier vrai grand succès public du jour, ce qui est
d’autant plus remarquable que leurs compositions complexes, au
croisement entre prog-rock, jazz et post-rock, ne se prêtent guère à la
configuration festival. Un très grand moment ! Et
voici My Bloody Valentine, le groupe qui fait passer Godspeed You Black
Emperor ! pour un orchestre de bal du samedi soir question volume
sonore. Le limiteur de bruit ? Bah, en fait comme il ne descend jamais
en dessous du seuil maximal autorisé, autant le débrancher ! C’est donc
parti pour 75 minutes de déluge non seulement sonore mais également
visuel, la formation originaire de Dublin étant très friande de
stroboscopes. Radicale à souhait, la prestation inclura même un bruit
blanc de près de 15 minutes, à la limite du soutenable. Evidemment, il
est infiniment agréable et même un peu émouvant d’entendre interprétés
les titres de Loveless, un album qui a tourné une page de l’histoire du
rock. Mais, même si l’on respecte le projet artistique du groupe qui
est de jouer très très FORT, il y a un stade (purement physiologique)
au-delà duquel l’auditeur ne perçoit plus ce qui se passe et où,
disons-le franchement, le plaisir se transforme en souffrance. Il est
peut-être dommage de tenir à ce point à mettre la tête du public dans
le réacteur d’un avion supersonique au décollage, surtout quand on a
les qualités musicales que l’on connaît. Difficile
de succéder à une telle prestation. C’est pourtant sans complexes que A
Place To Bury Strangers s’empare des ruines fumantes laissées par Kevin
Shields et les siens. Il faut dire que le trio New-Yorkais n’est pas en
reste lorsqu’il s’agit de produire du décibel. A Place To Bury
Strangers délivre une performance intense, quoiqu’un peu brève, qui
voit les 3 musiciens construire un véritable mur de son ― ce qui est
définitivement bien plus intéressant et en tout cas moins douloureux
que de dépasser le mur du son. En attendant le deuxième album à
paraître à la rentrée et un set plus nourri. The
Horrors ayant finalement déclaré forfait, à 72 heures du concert (sympa
pour les organisateurs), pour cause de « fatigue » (il est vrai qu’ils
montaient sur scène à 2h40, un truc à vous ruiner une horloge
biologique ça !), ce sont les quasi-inconnus de Snowman qui ont accepté
de relever le défi. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que, durant
50 minutes, ils s’y emploieront de la plus belle des manières. Le
quatuor cosmopolite, emmené par un guitariste-chanteur qui vient tout
juste de scier les barreaux de sa cage, délivre un rock brutal,
bruitiste et terriblement jouissif. Tripale à souhait, malgré l’heure
avancée, la prestation de Snowman remporte un franc et mérité succès
auprès des quelques ultimes acharnés qui auront veillé et patienté
longtemps pour déguster jusqu’à la dernière seconde de ces bruits
délicieux. Une très belle découverte !
15/08/2009
En fin d’après-midi, on se presse de quitter le Palais du Grand Large, où The Present et Forest Fire viennent
de proposer, une électro inventive et fort plaisante pour les premiers,
un folk-rock convenu et un peu poussif pour les seconds, et on se
dirige vers le Fort de Saint-Père pour découvrir le groupe qui fait
sensation partout où il passe : St. Vincent. En fait de groupe, ce sera
sa représentante principale et éminence grise, la New-Yorkaise Annie
Clark, qui occupera seule la grande scène, baignée comme la veille par
un chaud soleil. La pâle et frêle jeune femme semble un peu perdue au
beau milieu de cet espace immense. Mais aussitôt la prestation lancée
cette impression disparaît tant il est évident que l’artiste maîtrise
pleinement son sujet. Puisant généreusement dans son dernier opus en
date, le très réussi Actor,
St. Vincent parvient à imposer en un peu plus de quarante minutes son
électro-pop intime et délicate auprès d’un large public, s’octroyant
même un rappel. En attendant la tournée d’automne aux côtés de Grizzly
Bear ! Pas
simple de passer après un tel concentré de talent et d’originalité,
surtout quand on a rien ou presque à proposer, si ce n’est une pop
vaguement mélancolique entendue des millions de fois, légèrement
aromatisée à la folk pour être dans le coup. C’est le cas de Papercuts,
un groupe qui nous arrive de San Francisco et dont on se demande par
quel stratagème il s’est retrouvé propulsé sur une affiche aussi
prestigieuse. A oublier ! Les
Ecossais de Camera Obscura, quant à eux, développent une pop
ultra-classique pour ne pas dire formatée. Les mélodies qu’ils cisèlent
sont un peu à l’image des tenues vestimentaires arborées par les deux
filles de la formation : gentiment surannées. Leur prestation fait
glisser des flonflons de fête foraine d’un autre temps, chevaux de bois
et socquettes blanches, sur la foule qui semble apprécier. Dispensable,
mais il s’agit là d’un avis purement personnel, tenant plus sur le fond
que sur la forme car les 5 musiciens sont d’une justesse et d’une
précision irréprochables. A
voir le bloc compact que la foule forme en front de scène, pas de doute
: ce sont bien les Kills que la majorité attend avec une impatience non
feinte. Le duo fait son entrée sur U.R.A. fever, le titre qui ouvre également leur dernier opus en date, le puissant Midnight Boom.
Alison Mosshart, sorte de Keith Richards au féminin pour ce qui est de
l’attitude, arpente la scène cigarette aux lèvres telle une dompteuse
de fauves affamés. Aussi à l’aise à la guitare qu’au chant, elle envoie
sans compter et avec une belle énergie. Malheureusement, son complice
Jamie Hince semble quant à lui plus préoccupé par les nombreuses poses
qu’il adopte dès qu’il en a l’occasion. Résultat : beaucoup
d’approximations et quelques couacs, dont un titre arrêté en plein
milieu, soi disant pour des problèmes d’ampli… Le duo délivre donc une
performance en demi-teinte, d’une toute petite cinquantaine de minutes,
ce qui fait vraiment juste pour une tête d’affiche. Renseignements pris
a posteriori, Alison Mosshart était souffrante et a même dû se faire
administrer une piqûre par un infirmier du festival (l’histoire ne dit
pas si lui-même a eu besoin de soins après une telle expérience !). En
même temps, c’était elle qui assurait le plus, comme quoi… Une petite
piqûre, Jamie ? On
attendait les Kills et ce sera finalement Peaches qui décrochera la
palme de la prestation la plus furieusement rock’n’roll. De l’entrée en
scène façon Goldorak version queer jusqu’à la dernière note, Madame
Merrill Nisker et ses 3 Sweet Machine maintiennent le public en
ébullition, grâce à un show ultra-millimétré. Certes, cela relève plus
de la performance de cabaret voire du numéro de cirque que du concert
traditionnel, mais les 4 musiciens savent jusqu’où ne pas aller trop
loin et ne tombent jamais dans le grand-guignolesque. On peut également
trouver l’électro-glam proposé un peu bas de plafond, mais pour ce qui
est de tenir une scène de l’envergure du Fort de Saint-Père, Peaches
s’avère simplement irréprochable. Une prestation tonique et extrêmement
réjouissante !
16/08/2009
La journée de dimanche commence tôt, car les New-Yorkais de Gang Gang Dance sont àl'affiche
du Palais du Grand Large. En attendant, ce sont les deux Canadiennes de
Telepathe qui entreprennent de chauffer l’auditorium dès 16h00.
Proposant une électro-pop peu inventive, pour ne pas dire vide, les
jeunes femmes construisent un set d’une quarantaine de minutes autour
d’un seul titre, interprété à la fin comme il se doit : le demi-tube
qui fait les belles heures de leur page myspace.
Commence
alors l’installation d’un dispositif impressionnant, ce qui prendra
tout de même pas loin de 45 minutes. Le Palais est comble pour
accueillir ceux qui se sont vus contraints d’annuler leur tournée
Européenne en février dernier, consécutivement à la perte de leur
matériel dans un incendie survenu après la toute première date à
Amsterdam. C’est Vacuum qui
ouvre le set, dans une version très très étirée (plus de 10 minutes),
et là on se dit que le groupe va se livrer à une présentation soutenue
de leur dernière production en date, le magique Saint-Dymphna.
Mais en fait non, seuls deux titres seront interprétés sur une
prestation d’environ 75 minutes. Gang Gang Dance a donc fait le choix
de la surprise et de l’expérimentation, ce qui a pris le public de
court, et ce d’autant plus que le son un peu fort ne permettait pas
d’apprécier pleinement ces morceaux peu voire pas connus. Une telle
prestation aurait, à n’en pas douter, pris une toute autre dimension
sur la scène du Fort de Saint-Père.
Le
Fort de Saint-Père justement, où Bill Callahan distille son folk
nonchalant et paresseux comme un festivalier, un dimanche après-midi
d’été, repu après trois nuits de sons amplifiés. De circonstance donc,
mais un peu ennuyeux tout de même.
Andrew
Bird, qui vient ensuite, ajoute un soupçon d’énergie, grâce à des
rythmes volontiers sautillants. Malgré toute la bonne volonté dont il
fait preuve, son country-folk convenu et sans surprise ne semble guère
recueillir les faveurs du public au-delà des 4 ou 5 premiers
rangs.
C’est
au tour du seul Français présent à l’affiche du festival cette année de
faire son entrée. Fort d’un dernier opus encensé à juste titre par la
critique (à préférer dans sa version double CD), Dominique A. s’avance,
seul, tout de noir vêtu. L’accueil du public est chaleureux, mais pas
pour autant unanime ; la partie ne semble donc pas gagnée d’avance, il
va falloir batailler ferme. Soutenu par une boîte à rythmes qui donne
une couleur vintage minimaliste très réussie à ses compositions, le
chanteur égrène les titres de son dernier effort discographique en
date, en s’accompagnant tantôt à la guitare (couplée à un rack de
pédales offrant une palette d’arrangements surprenante), tantôt aux
claviers. Il glisse ici et là quelques vieux titres qui font la joie
des fans. Certains de ces morceaux sont interprétés en mode claviers-
ou guitare-voix, et là, on se dit qu’il faut quand même un sacré
tempérament pour oser se présenter seul, presque en a-capella, face à
un public de festival. A la force du poignet, Dominique A. parvient à
imposer son style subtil et élégant, et c’est sous une ovation
amplement méritée qu’il quitte la scène du Fort de Saint-Père après 60
minutes de grâce. De toute beauté !
La
route du retour étant longue, notre Route du Rock s’arrêtera là cette
année. Malgré les résultats médiocres enregistrés, François Floret, le
directeur de l’Association Rock Tympans, l’a promis : la Route du Rock
fêtera bien ses 20 ans en 2010. Il a même laissé entendre qu’un artiste
prestigieux figurerait au programme. A l’année prochaine, donc !
Olivier Bodart
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