Comme
c’est très souvent le cas lorsqu’on est amateur de musiques actuelles
et Lillois, c’est en terres Flamandes que nous nous retrouvons, à
Kortrijk cette fois. Bye bye l’ancien Kreun de la rue J. Persyn et ses
conditions un peu rudimentaires parfois, c’est dans une salle flambant
neuve que l’équipe emmenée par Stijn Roggeman ½uvre désormais, avec
toujours le même motto : satisfaire les tympans les plus exigeants.
Accolée au Conservatoire et à proximité immédiate de la Gare Centrale
et d’un parking gratuit à partir de 18 heures (judicieux, n’est-ce pas
?), cette nouvelle aire dédiée aux sons les plus pointus bénéficie
d’une architecture minimaliste particulièrement réussie qui se marie à
la perfection avec son environnement immédiat, à tel point qu’on
pourrait penser qu’elle a toujours été là, alors que son inauguration
remonte à moins d’un mois. L’aménagement
intérieur, d’une grande sobriété, a été pensé avec le souci manifeste
d’offrir un confort maximal, tant aux artistes qu’au public. Eclairages
diffus, sièges et canapés en mousse ici et là, ainsi que deux bars (un
dans le hall d’entrée, un dans la salle), tout cela contribue
grandement à entretenir la convivialité qui est de rigueur ici. Le
Belge sait recevoir et cela se voit ! On serait presque tenté de
conseiller aux gens du Kreun de se lancer également dans la formation à
l’accueil du public, tant ils sont maîtres en la matière. En même
temps, quand on voit quelle programmation ils sont parvenus à nous
concocter pour ce premier trimestre (Health, Themselves, Do Make Say
Think, Tortoise, Melvins, Apse…), avec des travaux en cours qui n’ont
pas dû faciliter les choses, on ne leur en voudra pas de se concentrer
exclusivement sur la musique qu’ils hébergent en leur lieu. Un
balcon en U surplombe le parterre, portant la jauge à 600 spectateurs
environ. La scène est vaste, quoiqu’un peu basse en cas de forte
affluence, et la hauteur sous plafond permet de travailler de très
belles lumières. Quant à l’acoustique, elle est simplement digne d’un
auditorium ; le son déployé est d’une profondeur et d’une précision à
couper le souffle, même en cas de volume élevé et que l’on soit placé
au premier ou au dernier rang, au centre ou sur les côtés. Bref,
inutile de photographier la salle pour le souvenir, on sait déjà qu’on
y reviendra le plus souvent possible. L’affiche
de ce soir n’a pas attiré les foules ; une petite centaine de
spectateurs se partage le parterre, si bien que chacun prend ses aises.
Il faut dire que Mariee Sioux tourne toujours en support de Faces In
The Rocks, son premier véritable album paru en 2007, et qu’elle a déjà
abondamment sillonné nos contrées au cours de ces deux dernières années. En attendant la jeune Californienne, c’est Matt Bauer qui occupe la scène. Tout fan de Slayer qui
le croiserait par hasard tomberait instantanément en syncope, car le
bonhomme ressemble à s’y méprendre à Kerry King ; même carrure, même
crâne rasé, même longue barbe touffue. Mais toute comparaison avec le
guitariste de la formation de métal extrême s’arrête là, car le New
Yorkais donne plutôt dans la douceur et l’introspection. S’accompagnant
le plus souvent à la guitare, mais aussi parfois au banjo, Matt Bauer
est épaulé par un contrebassiste qui apporte beaucoup de relief en même
temps qu’une touche évidente de mélancolie aux titres interprétés. Sa
voix, d’une sensibilité vibrante, se pose à la perfection sur ces
mélodies sombres et délicates qui semblent faites pour accompagner les
songes, une nuit d’automne par temps de pluie. On aimerait que
certaines compositions s’autorisent des développements plus nourris ;
mais l’enchaînement intelligent et d’une grande fluidité de morceaux
généralement brefs pallie à cette petite carence. Pour
Rose and Vine, le titre phare de son dernier album, qui pourrait bien
le voir chasser sur les terres d’un certain Bon Iver, Matt Bauer est
rejoint sur scène par une Mariee Sioux qui semble complètement
terrorisée. Pourtant, le public est tout à fait conquis et disposé à
l’écoute ; mais peut-être est-ce cette attention appliquée qui perturbe
la jeune artiste. Après
un ultime titre, Matt Bauer regagne les coulisses, non sans avoir
chaleureusement remercié les spectateurs. Un bien joli début de soirée ! L’impression laissée par Mariee Sioux lors de son interprétation en duo avec Matt Bauer se confirme
dès son entrée en scène : elle est en proie à un stress palpable. Après
avoir enchaîné les dates dans des cafés et autres lieux non dévolus à
la musique, la chanteuse a simplement perdu l’habitude des vraies
salles ; et comme celle-ci en est définitivement une, et de quelle
envergure…
Heureusement,
une fois le premier titre achevé, la tension se relâche et la
prestation prend aussitôt un tout autre tour. Seule à la guitare
acoustique, Mariee Sioux dépouille ses morceaux de ce trop-plein
d’arrangements et de production qui avaient fait de son CD une ½uvre
certes jolie mais assez quelconque somme toute, d’autant plus que peu
après, une certaine Emily Jane White avait publié un premier album
s’inscrivant dans le même registre musical mais autrement mieux ficelé.
Toutefois, contrairement à cette dernière, qui se contentait de
reproduire en live le son du studio au demi-ton près jusqu’à rendre sa
prestation inintéressante (> review), Mariee Sioux parvient elle à sublimer ses compositions et à en extraire la quintessence. Guitariste
émérite, l’Américaine tricote des accords arpégés de toute beauté,
plaçant ici et là de subtiles accélérations de la main droite sans que
cela entraîne la plus petite modification de tempo de son phrasé
doucereux et cristallin. Servie par un son, disons-le une fois encore,
d’une pureté exceptionnelle, Mariee Sioux parvient à captiver son
audience avec ses mélodies finement ciselées qui prennent une dimension
nouvelle ainsi déshabillées de tout artifice. Il est vrai que c’est là
tout ce qu’on lui demande ; mais comme les artistes capables de tenir
une scène à la force de leur seul talent se font de plus en plus rares,
cela mérite d’être signalé.
Après
65 minutes de concert, y compris un duo avec Matt Bauer accompagné de
son banjo pour l’occasion et un (vrai) rappel, Mariee Sioux disparaît
derrière les lourdes tentures noires qui habillent le fond de la scène.
Un petit coup d’½il à la setlist restée au pied du micro indique que la
chanteuse a très largement improvisé son set, rajoutant ici et là
quelques morceaux au gré de ses envies.
On
espère de tout c½ur que Mariee Sioux saura conserver cette sincérité et
cette authenticité brutes pour la réalisation de son prochain album,
car elle dispose de tout ce qu’il faut pour produire une grande ½uvre.
La musique, finalement, cela ressemble assez à la bonne cuisine : quand
on dispose d’ingrédients de base de qualité, il est inutile de les
noyer dans le superflu, une pincée de sel et un peu de poivre suffisent
généralement.
Olivier Bodart
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