Dans
le domaine des musiques dites actuelles, il y a les salles qui se
contentent de mettre une infrastructure et une logistique à disposition
des groupes et artistes qu’elles accueillent, l’espace de quelques
heures, dans le cadre de tournées parfaitement banalisées, pour ne pas
dire formatées ; et puis il y a les salles qui persistent à donner du
sens aux sons qu’elles hébergent en leurs murs, bref les salles qui
jouent un vrai rôle de programmation. Le Botanique de Bruxelles
appartient de toute évidence à cette seconde catégorie. Ainsi, c’est à
une soirée 100% Danoise que L’Orangerie nous convie en ce dimanche 11
octobre, manière de clore le week-end sous le sceau de la découverte et
de l’ouverture à d’autres horizons musicaux. C’est à Mads Langer que revient le privilège d’ouvrir les festivités. Si le jeune homme jouit d’une
jolie notoriété dans son pays, s’offrant le luxe d’une tournée
nationale frôlant les 20 dates, il est ici un parfait inconnu que l’on
regarde entrer en scène avec réserve et circonspection. Blondeur
soigneusement mise en valeur et minois angélique, le Danois (récemment
émigré à Londres, pour raisons artistiques dit-on) entame son set
guitare-voix avec un enthousiasme certain et une évidente envie de
séduire. Après quelques titres, force est de constater que la musique
va de pair avec l’attitude du jeune homme. L’emballage pop convenu,
voire consensuel, se pare tantôt d’intonations folk, tantôt de rythmes
bluesy, qui confèrent aux mélodies un petit côté plaintif
mais-pas-trop. La voix, d’une justesse irréprochable, est parfaitement
posée et apporte beaucoup de profondeur à des compositions qui, elles,
en manquent singulièrement. Servi par un son exceptionnel de clarté et
de précision, Mads Langer recueille les faveurs de plus en plus
appuyées d’un auditoire sous le charme ― de la part féminine de
l’auditoire tout du moins ! Malheureusement, le musicien prend trop
souvent le chemin de la démonstration de ses capacités vocales, certes
avérées d’un point de vue purement technique mais néanmoins assez
pauvres en termes d’identité artistique. On éprouve donc la très
désagréable impression de se retrouver face à un candidat d’un jeu de
télé-réalité, plus désireux d’emporter l’adhésion facile et immédiate
d’un jury que de proposer un vrai projet musical à un public. Très peu convaincant, surtout au vu de la suite du programme.
Changement radical de registre avec Our Broken Garden, un projet piloté par Anna Bronsted, ex-choriste et pianiste d’Efterklang, un autre digne représentant du pays de la Carlsberg. Ici
en formation à 4, comprenant un bassiste-trafiquant de sons, un
guitariste (également membre d’Under Byen), une violoncelliste et Anna,
donc, au piano et au chant, le collectif profite de l’absence de
batteur pour mettre l’accent sur la texture des sons plutôt que sur le
rythme. Une bien judicieuse idée d’ailleurs, car les mélodies lentes,
ouateuses et mélancoliques prennent un relief très particulier ainsi
soulignées des vibrations du violoncelle et parsemées d’échos de
guitare saturée. C’est une musique authentique, émouvante et libérée
de toute contrainte de genre, de style ou de format que le quatuor
déploie avec une sincérité et un bonheur qui font plaisir à voir. Les
titres sur lesquels Anna Bronsted abandonne son clavier pour s’emparer
d’un Omnichord au son délicieusement désuet, sont soutenus par une
boîte à rythmes et forment ainsi le contrepoint idéal avec les
compositions plus éthérées, plus introspectives qui constituent le
socle du set. En une cinquantaine de minutes, Our Broken Garden
construit une prestation à la fois variée et d’une grande homogénéité,
et fait parcourir une distance considérable aux morceaux de l’excellent
When Your Blackening Shows, jusqu’à leur conférer une dimension
nouvelle. Une très belle découverte !
Entrez elfes, trolls et autres personnages hybrides issus de la mythologie Scandinave, voici venu
Under Byen (merci de prononcer Oh’ Nah-Boon). En plus d’un arsenal
d’instruments, allant de marimbas bricolés maison aux générateurs de
sons les plus sophistiqués, le collectif n’oublie jamais d’emporter
avec lui son univers très personnel, à la fois étrange, féerique et un
peu inquiétant, sorte de croisement entre l’imaginaire de Tim Burton,
J.R.R. Tolkien et Terry Gilliam. L’annonce de ce concert a surpris
tout le monde, car on savait la formation en plein enregistrement du
successeur de Samme Stof Som Stof Right paru en 2006, et on pensait en
toute logique qu’il ne fallait pas espérer d’apparition sur scène avant
le printemps 2010 au plus tôt. Mais c’était sans compter sur l’envie
d’échapper temporairement au studio et de se retrouver face à un public
qui a pris soudain l’octet venu du froid. Henriette Sennenvaldt et les
siens se sont donc embarqués pour un tout petit périple de 5 jours à
travers le plat pays ― heureux Belges ! ― dont Bruxelles est, comme il
se doit, la date de clôture. Tout ici est originalité, à commencer
par l’agencement de la scène, avec Morten Svenstrup, le violoncelliste,
en front de scène au centre, la chanteuse dans le fond aux côtés de la
bassiste et un dispositif de percussions impressionnant, composé de 2
batteurs, sur la partie latérale droite. Amateurs de mélodies
accrocheuses dès la première écoute et de structures binaires formatées
couplet-refrain-couplet-break-couplet-refrain, mieux vaut passer votre
chemin. En revanche, ceux qui apprécient les expérimentations et qui
n’éprouvent aucune réticence à explorer des terrains peu voire pas
fréquentés, n’hésitez pas à pénétrer l’univers d’Under Byen, vous ne
serez pas déçus ! Forts de cette singularité parfaitement assumée, les
8 musiciens vous entraîneront dans une odyssée inoubliable, au
confluent du free-jazz, de la musique contemporaine et du rock
alternatif le plus âpre. En plus de ça, pas prise de tête pour un sou,
ils vous accueilleront à bras ouverts et vous vous sentirez comme chez
vous en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire ! Les
compositions d’Under Byen se nourrissent autant qu’elles se jouent des
ruptures ; rupture de tempo, rupture de style ; comme s’il fallait en
permanence se situer dans l’autre, dans l’ailleurs, entre
indéfinissable et insaisissable. Certes, la voix d’Henriette
Sennenvaldt évoque parfois Jennifer Charles sur certaines intonations
ou encore Björk pour le timbre, mais cette petite balise dans le champ
musical de référence relève finalement plus de l’anecdote qu’autre
chose. Pour le reste, c’est : lâché de manche, tourbillon looping, à
l’Ouest toute et qui vivra verra ― ou qui écoutera comprendra, plutôt ! Malheureusement,
comme c’est souvent le cas lorsqu’on se trouve en si bonne compagnie,
le temps passe beaucoup trop vite et la toute petite heure partagée
avec les quelques 250 à 300 spectateurs présents à L’Orangerie a un
goût de trop peu ! Une soirée mémorable, et un groupe qu’on espère voir se produire de nouveau dans un futur très proche !
Olivier Bodart
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