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Elysian Fields
04/09/2009
Théâtre Royal de Namur - Namur (B)

5ème et dernière soirée pour cette seconde édition des Doux Vendredis d’Août organisés au Théâtre Royal de Namur, une élégante salle à l’Italienne tendue de velours bleu nuit.

C’est un parterre bien garni, quoique loin d’être complet, qui accueille Lionel Solveigh, le 1er
Lionel Solveighartiste à se produire ce soir. Seul en scène, le Bruxellois s’accompagne à la guitare et au xylophone. Il puise également régulièrement dans une sorte de malle aux trésors installée à sa droite, dont il extrait jouets et instruments hétéroclites qui parsèment de sons originaux, parfois incongrus, son univers musical fait de douceur et de poésie. Un loop-sampler, utilisé avec une grande rigueur et sans arrière-pensée de démonstration, construit par touches successives un son riche en harmonies simples et en petites trouvailles qui marquent la différence, jusqu’à créer parfois un effet choral particulièrement réussi. D’une sincérité touchante, Lionel Solveigh parvient à investir l’espace qui lui est offert sans complexe, égrenant les compositions pop-folk de Home, son 1er album paru récemment via le label indépendant Humpty Dumpty. Les quelques maladresses qui surgissent ici ou là, loin de nuire à la qualité globale de la prestation, apportent au contraire une note supplémentaire d’authenticité. C’est donc un public conquis que Lionel Solveigh quitte, à l’issue d’un set d’une petite quarantaine de minutes.

La scène étant déjà installée pour accueillir les New-Yorkais d’Elysian Fields, l’attente sera brève. Mine de rien, cela fait 20 ans déjà que le duo navigue en eaux troubles, au confluent du jazz, de la soul et du rock, à contre-courant des tendances et des modes. 20 ans passés à explorer sous tous les angles ces thèmes universels que sont la vie, l’amour et la mort, sans pathos ni grandiloquence, mais avec une sorte de nonchalance plus espiègle que désabusée, à mille lieux en tous cas de tout cynisme et de cette résignation froide et déterminée qui est toujours la pire des postures.

L’entrée en scène se fait comme à l’accoutumée sans effet d’annonce, Oren Bloedow en tête, tout de blanc vêtu et exceptionnellement tête nue. Les musiciens prennent possession de leurs instruments respectifs, avec beaucoup de concentration. Puis, Jennifer Charles s’avance lentement du fond de scène, un verre de vin à la main qu’elle dépose au pied du piano, démarche suave et mesurée sous les plis vaporeux d’une robe de soie rouge.

Avec le lascif Drown those Days en ouverture, le ton est donné : c’est le champ le plus jazz, le Elysian Fieldsplus sombre aussi, de son répertoire, que le quintet s’apprête à explorer. Comme il se doit, la part belle est faite aux compositions issues du bouleversant The Afterlife paru en février dernier. Mais quelques titres rares ponctuent le set ici et là, clins d’½il aux fans les plus assidus, comme Get Rich tiré du tout premier EP publié par la formation au milieu des années 1990 ou l’inédit Can’t Tell qui est interprété pour la toute première fois ce soir.

Seule en scène : la musique ! La musique qui n’a besoin d’aucun artifice sonore ou visuel pour s’exprimer pleinement. En découle logiquement une grande économie de moyens et d’effets, notamment de la part de Jennifer Charles, dont le plus petit geste, le moindre déplacement semblent faire l’objet d’une attention particulière. Il faut dire que la chanteuse est dotée d’un charisme hors normes, plus proche du magnétisme que de la simple capacité à capter les regards, ce qui lui permet de pousser sa quête de l’épure jusqu’aux limites de l’abstraction. Evoluant avec une lenteur quasi-languide, elle tient l’assistance en haleine et chaque spectateur est comme suspendu, qui à un battement de paupières, qui à une flexion de genou, qui à une rotation presque imperceptible d’un poignet, d’une cheville. Et puis il y a cette voix, bien sûr ; cette voix langoureuse, sensuelle, voluptueuse… cette voix juste posée, qui ne force jamais, qui n’a rien à démontrer, qui ne cherche pas à décrocher des notes extravagantes, mais qui enivre et laisse des traces… comme les larmes d’un vin liquoreux glissent sur le cristal longtemps après qu’on l’ait goûté.

Toutefois, si Jennifer Charles fascine, hypnotise même son auditoire, elle n’a rien de ces divas mégalomanes qui accaparent tout l’espace et relèguent les musiciens au rang de figurants ! Oren Bloedow, la seconde moitié d’Elysian Fields, est évidemment très présent, même si son jeu de guitare tout en nuance et en subtilité se veut plutôt discret. Il lui arrive toutefois de se lancer soudainement dans un solo incisif, comme en conclusion du magistral How We Die, et chacun écoute ce discours musical teinté de soul et de blues dans un silence quasi-religieux proche du recueillement, tant il est évident que l’homme use de ses 6 cordes comme d’un moyen d’expression et non pas comme d’un simple instrument. Il y a quelque chose de physique, de charnel presque, dans le rapport qu’Oren Bloedow entretient avec sa guitare. Il fait souffler un vent de liberté infinie sur ce champ musical qu’il construit, dépassant les contraintes de tempo, les schémas mélodiques traditionnels. En somme, il synthétise en même temps qu’il fait vivre l’esprit du jazz : cette nécessité viscérale d’improviser, de laisser libre cours à l’inspiration, d’échapper coûte que coûte au carcan de la restitution note pour note, de la représentation identique soir après soir.

Le retour d’Ed Pastorini au sein de la formation contribue grandement au son très « jam session dans une cave enfumée ». Le recours exclusif à un ¾ de queue acoustique y est pour beaucoup, mais c’est surtout le jeu précis et délicat, d’une sensibilité vibrante qui n’est pas sans rappeler le Bill Evans de You Must Believe in Spring, qui fait réellement la différence.

La section rythmique, assurée par Kenneth Salters à la batterie et Sarah Murcia à la contrebasse, ne se cantonne pas à un simple accompagnement ; elle soutient, elle enveloppe, elle sert d’écrin… elle entretient la conversation musicale avec Ed Pastorini, Oren Bloedow et Jennifer Charles aussi.

Little Red Riding Hood, titre définitivement très efficace en clôture de set avec ses hou-hou-hou hou qui vont decrescendo et qui voient les musiciens quitter la scène à tour de rôle, arrive bien sûr trop tôt, même si cela fait près d’une heure que le set a commencé. Une ovation amplement justifiée fera revenir les 5 musiciens, qui délivreront encore une version très appuyée de Fountains On Fire, concluant ainsi leur show sur une note nettement plus rock.

Durant 65 petites minutes passées sur les planches du Théâtre Royal, Jennifer Charles, Oren Bloedow, Sarah Murcia, Ed Pastorini et Kenneth Salters se sont employés à justifier de la plus belle des manières de ce patronyme qu’ils ont fait leur ; les Champs Elysées désignant, dans la mythologie Grecque, le lieu où les héros et les poètes vivent une éternelle béatitude après leur mort.

Un moment de pure grâce !


N’étant définitivement pas amateur de la pop sucrée du Suédois Peter Van Poehl, qui s’est vu offrir l’insigne honneur de clôturer cette soirée, je n’en parlerai donc pas. Si ce n’est pour constater que le public, particulièrement clairsemé à l’issue de sa prestation, semblait penser lui aussi que la vraie tête d’affiche du jour était bel et bien Elysian Fields !

Olivier Bodart


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