Comme
son nom ne l’indique pas, Mew est une formation originaire du Danemark,
qui compte 3 albums à son actif, dont le fameux And The Glass Handed
Kites paru en 2005, ainsi qu’une flopée de singles. En une petite
dizaine d’années d’existence, les 3 musiciens se sont élevés au rang de
véritables stars dans leur pays, remplissant des salles de type Zénith.
En revanche, ils ne jouissent pas de la même popularité dans nos
contrées, de loin s’en faut. Le soutien appuyé d’un certain Trent
Reznor, qui leur a offert d’ouvrir sur de très nombreuses dates de la
récente tournée de Nine Inch Nails, semble avoir quelque peu porté ses
fruits. Profitant de cette visibilité toute récente et de la
publication de No More Stories Are Told Today… à la rentrée, Mew s’est
donc embarqué pour sa première véritable tournée Européenne en tête
d’affiche. Difficilement
classable sous les étiquettes standards, le trio développe un son très
personnel, entre pop et rock atmosphérique, composé de lignes vocales
pures rappelant un peu Sigur Ros, de mélodies plutôt catchy quoique
très finement ciselées et d’harmonies aériennes d’une grande subtilité,
le tout évoquant assez largement le monde de l’enfance. Il faut bien le
reconnaître, certains titres flirtent dangereusement avec les limites
d’une pop consensuelle ; mais le groupe a toujours eu, jusqu’alors,
l’intelligence de rester du bon côté de cette barrière qui sépare la
musique de l’industrie. Qu’en est-il donc en live ? Nous n’allons plus
tarder à le savoir. En attendant, ce sont les Stasbourgeois d’Electric Electric qui sont chargés d’ouvrir les festivités.
Les Danois ne leur ont laissé qu’un espace très restreint pour
s’exprimer, mais qu’à cela ne tienne, les 3 hommes sont installés côte
à côte en front de scène, le batteur au centre, le
guitariste-claviériste à gauche et le bidouilleur de sons à gauche, et
cela ne les empêche nullement de faire cracher les amplis, même s’ils
n’ont quasiment pas la place de bouger. Le moins que l’on puisse dire
c’est que leur rock à la fois complexe et ultra-énergique ne semble pas
passionner le public ; dommage, car le trio délivre là une prestation
de fort belle facture ; mais il semblerait que le fan de Mew soit peu
enclin à écouter autre chose que… Mew ! et les groupies du premier rang
font même montre d’un dédain affiché, à la limite de l’irrespect. Musicalement
parlant, le trio oscille entre un math-rock fougueux sur les titres
instrumentaux et un rock à tendance expérimentale lorsque les vocaux
font leur apparition. Le batteur semble être né avec des baguettes dans
les mains, car il maîtrise son instrument avec une aisance et une
inventivité rares, plaçant ici et là de ces petites astuces techniques
qui marquent la différence entre les instrumentistes et les musiciens ;
lui, appartient de toute évidence à la seconde catégorie. Le
guitariste, également aux commandes d’un loop-sampler utilisé à bon
escient, superpose des nappes saturées à la Gibson SG et construit
ainsi un effet pluriphonique particulièrement réussi, l’ensemble se
mariant à la perfection avec les sons générés par ordinateur. Les
oreilles les plus critiques noteront une légère inégalité au niveau des
compositions ; mais le set délivré en une trentaine de minutes n’en
demeure pas moins d’un niveau très nettement supérieur à ce qu’il nous
est généralement donné à voir et à entendre lors de premières parties
improvisées au pied levé, comme c’est le cas ici. Un groupe à suivre de
très près donc ! Voici maintenant venus ceux que tout le monde attend. En live, le trio se transforme en quintet, et
une chose est sûre : les 5 garçons ne sont pas venus les mains vides !
L’installation dont le groupe dispose est impressionnante, à tel point
que la scène de L’Orangerie, pourtant vaste, ressemble à un vulgaire
podium de fête d’école sur lequel on voudrait faire jouer un orchestre
symphonique. Un gigantesque écran blanc est tendu en fond de scène,
devant lequel sont placées deux estrades, l’une pour le bassiste,
l’autre pour le claviériste, encadrées par deux écrans vidéo
supplémentaires, translucides ceux-là. Le kit batterie, taille XXL, est
disposé sur l’avancée gauche, si bien que Silas Utke Graae Jorgensen
joue de profil au public. La partie droite est elle réservée à Bo
Madsen, le guitariste, qui ne se déplace jamais sans ses 3 amplis !
Heureusement que Mew ne compte pas davantage de musiciens, parce
qu’au-delà c’est dans la salle qu’il faudrait les faire jouer, avec le
public sur la scène ! Les mauvaises langues diront que cela ne poserait
sans doute pas de difficultés insurmontables, étant donné que le
concert est très loin d’afficher complet, mais passons…
Ainsi
que le dispositif le laisse présager, l’entrée en scène est très
travaillée, à la limite du théâtral, le guitariste prenant ses marques
le premier, suivi par le claviériste et le batteur qui posent à tour de
rôle leur touche sur l’introduction lancée, à grands renforts d’images
de synthèse. Mais au moment d’entamer le premier véritable titre,
patatras ! on s’aperçoit que les moniteurs intra-auriculaires du
chanteur ne sont pas prêts. Branle-bas de combat au sein de l’armée de
roadies qui courent partout pour s’en aller quérir les précieuses
oreillettes, avec pour conséquence un gros blanc que le guitariste
s’efforce de combler comme il peut, à coup de « Salut Bruxelles, ça va
? Euh, on est déjà venus ici, vous étiez là ? Bon…» Regard effaré du
claviériste, qui voit un roadie passer derrière lui tête baissée, une
petite boîte contre sa poitrine, tel un rugbyman s’en allant planter un
essai ; puis coup d’½il au guitariste, qui continue de meubler, au
batteur, qui regarde derrière lui, en direction du stage manager qui
est occupé à démêler les fils (sont même pas foutus de ranger le matos
correctement, ah j’te jure…), et enfin au chanteur, qui attend
patiemment que les fils soient démêlés. Bref,
la partie s’engage bien mal ! Mais c’est sans compter sur le grand
professionnalisme dont font preuve les 5 Mew. Loin de s’émouvoir du
couac qui vient de se produire, Jonas Bjerre s’en vient prendre sa
place devant le micro avec beaucoup de décontraction malgré ses deux
bonnes minutes de retard. Le bassiste étant également à son poste, le
concert peut vraiment démarrer cette fois, comme si rien (ou presque)
ne s’était passé, via une incursion logique dans le répertoire du
dernier album en date.
Disons-le
d’emblée, cette prestation paraît instantanément très anachronique dans
un tel lieu, plus habitué à recevoir des concerts de musique actuelle
que des spectacles formatés Live Nation. Le babillage incessant de
jeunes filles énamourées (qu’est-ce qu’il est beau, le chanteur, non ?
oh si, moi c’est mon préféré !) et surtout les hurlements de bête
sauvage que poussent les fans des premiers rangs dès qu’un musicien
remue le petit doigt, obligent l’ingénieur du son à monter le volume
jusqu’à des niveaux qui ne permettent plus de travailler dans la
nuance, ce que l’univers du groupe requiert pourtant. Sur certains
passages, toute la finesse de mélodies volontiers oniriques se noie
complètement dans une véritable bouillie de décibels, si bien que des
titres tels Apocalypso ou The Zookeeper’s Boy perdent toute la magie
qu’elles ont sur CD.
Les
éclairages, essentiellement travaillés sur les visages des musiciens,
sont très réussis, de même que les animations vidéo, qui se marient
très bien avec le son développé. Mais, au final, c’est une impression
de sur-représentation qui prédomine.
Sans
parler de gâchis consommé, on notera tout de même que les 5 Mew étaient
infiniment plus efficaces en première partie de Nine Inch Nails l’été
dernier, face à un public qui ne leur était pas acquis par avance, loin
de là, et sans tout cet arsenal d’effets qui semble en définitive les
freiner considérablement dans l’expression de leur talent. Par
ailleurs, à la lumière de la prestation donnée ce soir, on est bien
obligé de se demander si le groupe n’est pas en train de passer du
mauvais côté de la barrière évoquée en introduction. Dommage !
Olivier Bodart
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